Publié le : 11 juillet 2011 Source :
Religions non chrétiennesRencontre interreligieuse d’Assise : Réflexion du cardinal LevadaNous reprenons ci-dessous le texte intégral de la réflexion que le cardinal William Joseph Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a publiée le 7 juillet dans L’Osservatore Romano en italien. Le cardinal Levada explique pourquoi le pape Benoît XVI a décidé de convoquer une rencontre des représentants des grandes religions, le 27 octobre prochain à Assise, 25 ans après la première rencontre organisée à l’initiative de Jean-Paul II. Vers la rencontre du 27 octobre à Assise Les raisons de la paix et l’unique Logos par le cardinal William Joseph Levada Cardinal préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi L’annonce que, le 27 octobre prochain, Benoît XVI se rendra en pèlerin à Assise pour une « Journée de réflexion, de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le monde » montre que l’expérience religieuse dans ses diverses formes retient l’attention de l’Eglise du troisième millénaire. Face à l’actuelle diffusion de l’athéisme et de l’agnosticisme, il importe d’aider l’homme à préserver et retrouver la conscience du lien élémentaire (re-ligio) qui l’unit à son origine. Cette prise de conscience, qui se fait tout naturellement prière, constitue aussi une condition de la paix et de la justice dans le monde. Dans son livre entretien de 1994, le bienheureux Jean-Paul II évoque la rencontre d’Assise en 1986, affirmant que cette rencontre, comme aussi les nombreuses visites qu’il effectua dans les pays d’Extrême-Orient, l’avait plus que jamais convaincu que « l’Esprit Saint est déjà efficacement à l’œuvre même en dehors de l’organisme visible de l’Eglise. Néanmoins, bien conscient qu’il s’agissait d’un sujet sensible, peu après cette rencontre, le 7 décembre 1990, il enseignait dans son encyclique Redemptoris missio, que l’Esprit se manifeste d’une manière particulière dans l’Eglise et dans ses membres ; cependant, sa présence et son action sont universelles, sans limites d’espace ou de temps ». Evoquant le Concile Vatican II, il rappelait « l’œuvre de l’Esprit Saint dans le cœur de tout homme par les “semences du Verbe” (semina Verbi), dans les actions même religieuses, dans les efforts de l’activité humaine qui tendent vers la vérité, vers le bien, vers Dieu », qui les prépare à « leur maturation dans le Christ » (n. 28). Dans la même encyclique, il ne réaffirmait pas seulement la nécessité et l’urgence de l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus, mais s’élevait fortement contre une « mentalité marquée par l’indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les chrétiens, souvent fondée sur des conceptions théologiques inexactes et imprégnée d’un relativisme religieux qui porte à considérer que “toutes les religions se valent” » (n. 36). En pleine harmonie avec cette préoccupation s’inscrit la réflexion théologique et pastorale de Joseph Ratzinger : dès 1964 il avait manifesté son intention de « définir avec une plus grande précision la position du christianisme dans l’histoire des religions et de conférer ainsi un sens plus concret aux déclarations théologiques sur le caractère unique et absolu du christianisme » (J. Ratzinger, Foi, vérité, tolérance. Le christianisme et les religions du monde , 17). La Congrégation pour la doctrine de la foi, qu’il présidait alors, reprendra ce thème dans la déclaration Dominus Iesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise. Le document, publié le 6 août 2000, ne visait pas seulement à réfuter l’idée d’une coexistence interreligieuse dans laquelle les diverses « croyances » seraient reconnues comme des voies complémentaires à celle qui est Jésus-Christ (cf. Jean 14, 6) ; il entendait, plus profondément, jeter les bases doctrinales d’une réflexion sur le rapport entre le christianisme et les religions. Par sa relation unique avec le Père, la personne du Verbe incarné est absolument unique ; l’œuvre salvifique de Jésus-Christ qui se prolonge dans son Corps, l’Eglise, est elle aussi absolument unique dans l’ordre du salut de tous les hommes. Pour accomplir cette œuvre, chez les chrétiens comme chez les non chrétiens, il y a toujours et uniquement l’Esprit du Christ donné par le Père à l’Eglise « sacrement de salut » : il n’existe donc pas, en ce qui concerne le salut, de voies complémentaires à l’unique économie universelle du Fils fait chair, même si en dehors des limites visibles de l’Eglise du Christ on trouve des éléments de vérité et de bonté (cf. Nostra aetate, 2 ; Ad gentes, 9). La rencontre d’Assise a connu une seconde édition le 24 janvier 2002. A cette occasion, le cardinal Ratzinger a ressenti le besoin d’en clarifier ultérieurement le sens, se faisant l’interprète de tous ceux qui se posaient d’une manière très sérieuse des questions : « est-ce qu’on peut faire cela ? Ne trompe-t-on pas la grande majorité avec une harmonie qui n’existe pas dans la réalité ? Ne favorise-t-on pas le relativisme – l’opinion selon laquelle, au fond, les différences qui séparent les « religions » ne touchent pas à l’essentiel ? N’affaiblit-on pas le sérieux de la foi et ne nous éloignons-nous pas de Dieu, ce qui renforce notre solitude ? » (Foi, Vérité, Tolérance, 111). Le lecteur pourra se référer à ses précisions, qui n’ont rien perdu de leur actualité. Nous préférons ici nous demander : pourquoi donc, s’il était aussi attentif aux éventuels malentendus que pourrait provoquer le geste de son bien-aimé prédécesseur, Benoît XVI a-t-il jugé bon de se rendre comme pèlerin à Assise à l’occasion d’une nouvelle rencontre pour la paix et pour la justice dans le monde ? Une première indication nous est donnée par l’évocation que fait le cardinal Ratzinger de la rencontre de 2002. Au lendemain du rassemblement, il évoquait la figure du vieil homme vêtu de blanc, qui était avec les autres dans le train en route vers Assise : « Hommes et femmes qui trop souvent dans la vie quotidienne s’affrontent l’un l’autre avec hostilité et semblent séparés par des barrières insurmontables, saluaient le pape qui, par la force de sa personnalité, la profondeur de sa foi, la passion qui en dérive pour la paix et la réconciliation, a comme « tiré » l’impossible, par le charisme de son office : réunir dans un pèlerinage pour la paix des représentants de la chrétienté divisée et des représentants de diverses religions » (30 Giorni, 1/2002). La religion, loin de nous détourner de l’édification de la cité terrestre, nous pousse au contraire à nous y engager. Pour nous chrétiens, cela signifie tout d’abord intercéder auprès de Dieu, en acceptant que les autres, même dans leur diversité – croyants et non croyants, conviés aussi à la prochaine rencontre d’Assise – s’unissent à nous dans la recherche de la paix et de la justice dans le monde. Et, ajoutait celui qui était alors cardinal, « si nous, chrétiens, nous entreprenons le chemin de la paix en suivant l’exemple de saint François, nous ne devons pas craindre de perdre notre identité : c’est justement alors que nous la trouvons » (ibidem). Il ne s’agit pas, en somme, de cacher la foi au profit d’une unité superficielle, mais de confesser - comme le firent Jean-Paul II et le patriarche œcuménique – que le Christ est notre paix et que, précisément pour cette raison, le chemin de la paix est le chemin de l’Eglise. Le visage du « Dieu de la paix » (Romains 15, 33), dit encore Joseph Ratzinger, « s’est rendu visible pour nous chrétiens par la foi dans le Christ » (ibidem). Et cette paix est une plénitude non seulement offerte et transmise (cf. Jean 20, 19), mais depuis toujours déjà accueillie par l’Eglise sainte et immaculée (Ecclesia sancta et immaculata) (Ephésiens5, 27), à la fois comme don et comme devoir à l’égard du monde, qui est le « théâtre où se joue l’histoire du genre humain » (Gaudium et spes, 2). Le Concile Vatican II nous le rappelle : « obéissant à l’ordre du Christ et mue par la grâce de l’Esprit Saint et la charité, elle (l’Eglise) devient effectivement présente à tous les hommes et à tous les peuples, pour les amener par l’exemple de sa vie, par la prédication, par les sacrements et les autres moyens de grâce, à la foi, à la liberté, à la paix du Christ » (Ad gentes, 5). Puisque « tous les hommes sont appelés à l’unité dans le Christ » (Lumen gentium, 3), l’Eglise doit être le levain de cette unité pour l’humanité tout entière : non seulement à travers l’annonce de la Parole de Dieu, mais par le témoignage vécu de l’union intime des chrétiens avec Dieu. Voici l’authentique chemin de la paix. Le titre choisi pour la prochaine rencontre d’Assise - Pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix - nous offre une seconde indication : pour pouvoir raisonnablement espérer construire ensemble la paix, il faut prendre comme critère la vérité. « L’ethos sans le logos ne tient pas » (J. Ratzinger, Je vous ai appelés mes amis. La compagnie sur le chemin de la foi, 71). Instruit par les douloureuses expériences des idéologies totalitaires, le pape a en horreur toute forme de subordination de la raison à la pratique. Mais il y a bien plus. Le lien originel entre l’ethos et le logos, et entre religion et raison, s’enracine en définitive dans le Christ, le Logos divin : c’est précisément pour cela que le christianisme est en mesure de restituer au monde ce lien, en participant, comme signe véridique et efficace de Jésus-Christ, à sa mission unique de salut (cf. Lumen gentium, 9). Il convient donc de rejeter fermement « ce relativisme qui affecte plus ou moins clairement la doctrine de la foi et de la profession de foi » (Je vous ai appelés mes amis, 71). Mais, loin de constituer une sous-estimation des diverses expressions religieuses ou de la dimension éthique, cela la met plutôt en valeur : « Nous devrons chercher à trouver une nouvelle patience - sans indifférence – les uns avec les autres et pour les autres ; une nouvelle capacité de laisser être ce qui est l’autre et l’autre personne ; une nouvelle disponibilité à différencier les plans de l’unité et, donc, à réaliser les éléments d’unité qui sont possibles aujourd’hui » (ibidem). La paix n’est pas possible sans la vérité et inversement : l’aptitude à la paix constitue un authentique « critère de vérité » (J. Ratzinger, Europe. Ses fondements aujourd’hui et demain, 79). Traduit de l’italien par Zenit |