Publié le : 21 octobre 2013 Source : Zenit.org
Les newsLe paradis des enfants ou un visage de l’islam en EgypteEn 1969, le Prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz a publié un recueil de petits récits La taverne du chat noir dans lequel brille de simplicité et profondeur celui qui s’intitule : Le paradis des enfants. Il s’agit d’un dialogue serré entre un père et sa fille sur un thème actuel et parfois problématique : les relations entre le christianisme et l’islam et la nécessité de dialogue entre les deux religions. « Le paradis des enfants » fait découvrir une manière de vivre l’islam. Il montre que dans les années soixante, dans un pays comme l’Egypte, islam et christianisme vivaient dans le respect réciproque, mais surtout qu’on n’étiquetait pas les gens selon leurs appartenances religieuses. On vivait dans le respect de différence, chose aujourd’hui qui semble toujours oubliée, gommée de la mémoire. Mais la grande qualité du texte présenté ici c’est qu’il montre un chemin aussi nouveau qu’ancien, celui du dialogue : le dialogue de la vie, le dialogue des cœurs. Et encore une fois, c’est une petite fille qui nous l’enseigne, une petite fille qui devient une vraie maîtresse pour toute sa famille, une maîtresse de sentiments purs et sincères, et d’ouverture à l’autre sans condition. Le récit de Mahfouz indique une voie possible à suivre. La fraîcheur et la spontanéité des questions de la fillette, qui n’arrive pas à accepter de se séparer de son amie de cœur durant l’heure de religion, et les réponses simples et pleines d’amour du père, construisent un petit manuel sur ses relations avec le christianisme et la possibilité d’une cohabitation sereine. Le père rappelle d’emblée à sa fille la nécessité de suivre la religion de ses parents et d’y être fidèle, qu’il s’agisse de l’islam ou du christianisme. Le personnage principal indiscutable du récit est la petite fille, avec sa logique de fer, avec son bombardement de « pourquoi » désarmants, mais surtout avec ses sentiments directs. Le grand enseignement à tirer de ce texte et que nous proposons ici (traduction en italien par l’auteur et en français par la rédaction de Zenit, ndlr) est un encouragement au dialogue entre les personnes, au dialogue de la vie. Le stylo magique de Mahfuz rappelle que les différences au plan théologique et dogmatique appartiennent aux adultes qui, très souvent, les font passer avant les hommes et les sentiments. Au contraire, les enfants s’ouvrent immédiatement à l’autre sans préjugés. Laura, la petite musulmane, ne veut pas quitter son amie Nadia, chrétienne, tout simplement parce qu’elle s’amuse et se trouve bien avec elle. Les efforts du père pour la convaincre qu’il est normal qu’elles ne fréquentent pas la même heure de religion, parce qu’elles appartiennent à deux religions différentes, sont vains : elle veut rester toujours avec son amie, « même pendant l’heure de religion ». *** - Papa... - Oui ? … - Mon amie et Nadia et moi sommes toujours ensemble. - Bien sûr, c’est ta camarade de classe... - En classe, dans la cour, et même au réfectoire. - C’est une belle chose et en plus Nadia est une jolie petite fille bien élevée. - Mais au cours de religion je vais dans une salle et elle dans une autre. Il regarda la maman et la vit sourire tout en cousant. Il sourit à son tour et commenta : - Mais ce n’est que durant le cours de religion... - Pourquoi, papa ? - Parce que tu suis une religion et elle une autre. - Comment ça se fait, papa ? - Tu es musulmane alors que Nadia est chrétienne. - Pourquoi, papa ? - Tu es encore petite. Un jour tu comprendras. - Mais je suis grande, papa ! - Mais non, tu es encore petite, ma chérie ! - Et pourquoi suis-je musulmane ? Il devait être disponible et prudent, mais surtout ne pas trahir les méthodes modernes d’Education au premier essai. - Ton papa est musulman, ta maman est musulmane, donc toi aussi tu es musulmane. - Et Nadia ? - Son papa est chrétien, sa maman est chrétienne, donc elle aussi elle est chrétienne. - Serait-ce parce que son papa porte des lunettes ? - Non, les lunettes n’ont rien à voir. C’est que son grand-père aussi était chrétien... Il était résolu à remonter toutes les générations à l’infini jusqu’à ce qu’elle se lasse et change de sujet. Mais la petite demanda : - Qui est mieux ? Il réfléchit un instant puis répondit : - La religion musulmane est bonne mais aussi la religion chrétienne est bonne. - Une des deux doit forcément être meilleure. - Ce sont de bonnes religions toutes les deux. - Et si je devenais chrétienne pour être toujours avec Nadia ? - Absolument pas, mon trésor, cela n’est pas possible. Chacune de vous doit rester avec son papa et sa maman. - Mais pourquoi ? Les faits étaient en train d’expliquer à l’homme la tyrannie des méthodes modernes d’éducation ! - Tu ne veux vraiment pas attendre d’être plus grande ? - Non, papa. - Bien. Tu sais ce que c’est que la mode : il y a ceux qui préfèrent une mode et d’autres qui en préfèrent une autre. Tu es musulmane et cela est la dernière mode, c’est pourquoi tu dois rester musulmane. - Alors Nadia suit une vieille mode ? Malédiction ! Il était évident qu’il avait commis une erreur, malgré toutes les prudences et attentions. Il s’était enfilé dans une impasse dont il ne serait plus sorti. - C’est une question de goût, mais chacune de vous doit rester comme sa maman et son papa. - Je peux dire à Nadia que sa mode à elle est une vieille mode et que la mienne est moderne ? Le père s’empressa de préciser : - Toutes les religions sont bonnes, qui est musulman adore Dieu et qui est chrétien aussi. - Alors pourquoi elle l’adore dans une salle et moi dans une autre ? - Parce que il y a ceux qui l’adorent d’une façon et ceux qui l’adorent d’une autre façon. - Et quelle est la différence ? - Tu l’apprendras l’année prochaine ou l’année d’après. Pour l’instant il te suffit de savoir que tant les musulmans que les chrétiens adorent Dieu. - Et qui est Dieu, papa ? Je repris mon souffle, pris quelques instants pour réfléchir et poursuivis : - Qu’est-ce que ta dit la maîtresse à l’école ? - Elle a récité la sourate du Coran, nous a appris les prières. Mais qui est Dieu je ne sais pas. Il réfléchit à nouveau, cachant son sourire. - C’est le créateur du monde entier. - De tout ? - De tout. - Qu’est-ce que cela veut dire « créateur » ? - cela veut dire qu’il a fait chaque chose. - Et comment papa ? - Grâce à un immense pouvoir... - Et où il vit ? - Partout dans le monde. - Et avant le monde ? - Là-haut. - Au ciel ? - Oui. - Je veux le voir. - Impossible. - même pas à la télévision ? - Impossible. - Quelqu’un l’a-t-il déjà vu ? - Personne. - Et toi comment tu fais pour savoir qu’il est là-haut ? - C’est comme ça... - Qui est sûr qu’il est là-haut ? - Les prophètes. - Les prophètes ? - Oui, comme le prophète Mahomet. - Et comment il a fait pour le savoir ? - Il avait un pouvoir spécial. - Il avait une très bonne vue ? - Oui. - Pourquoi, papa ? - Dieu l’a créé ainsi. - Pourquoi, papa ? Il essaya de ne pas perdre son calme et répondit : - Il est libre de faire ce qu’il veut. - Et quand il a vu Dieu, comment il était ? - Très grand, très fort, tout puissant... - Comme toi alors papa. Il se retint de rire et commenta : - Personne ne lui ressemble. - Pourquoi vit-il là-haut ? - La terre n’est pas assez grande pour Le contenir, mais Lui voit chaque chose. La fillette, après un petit moment de distraction, recommence : - De toute façon Nadia m’a dit qu’il a vécu sur terre. - C’est parce qu’il voit chaque lieu, comme s’il vivait partout. - Elle m’a dit qu’il a été tué ! - Mais Lui est vivant, il ne meurt pas. - Mais Nadia a dit qu’on l’a tué … - Non, ma chérie, ils ont seulement crû l’avoir tué, mais Il est vivant et ne meurt jamais. - Et grand-père, il est vivant lui aussi ? - Non, ton grand-père est mort. - Il a été tué ? - Non. Il est mort tout seul. - Et comment ? - Il est tombé malade et il est mort. - Alors ma petite sœur mourra ? Elle est malade … Il s’assombrit, tandis que sa mère fit un geste de réprobation, et s’empressa de la tranquilliser : - Mais non, elle guérira si Dieu le veut ! - Pourquoi grand-père est-il mort ? - Il est tombé malade lorsqu’il a vieilli. - Toi aussi tu es tombé quand tu es devenu grand. Pourquoi tu n’es pas mort ? Sa maman la gronda et la fillette, égarée, commença à regarder d’abord l’un puis l’autre en quête d’une réponse. - Nous mourrons quand Dieu veut que mourions. - Et pourquoi Dieu veut-il que nous mourions ? - Il est libre de faire ce qu’il veut. - Et elle est belle la mort ? - Non, mon trésor. - Alors pourquoi Dieu veut-il une chose laide ? - Elle est belle quand Lui désire que cela arrive. - Mais tu as dit qu’elle n’est pas belle. - Je me suis trompé, ma chérie. - Pourquoi maman s’est-elle fâchée quand j’ai dit que tu meurs ? - Parce que Dieu ne l’a pas encore voulu. - Et pourquoi il veut ça, papa ? - C’est lui qui nous amène sur terre et c’est lui qui fait que nous la quittions. - Pourquoi, papa ? - Il veut que nous fassions de belles choses avant de partir. - Et pourquoi nous ne restons pas ? - Le monde ne serait pas assez grand pour nous contenir si nous restions tous. - Et nous laissons toutes les belles choses ? - Nous irons dans un endroit où les choses seront encore plus belles. - Où ça ? - Là-haut. - Chez Dieu ? - Oui. - Nous le verrons ? - Oui. - Et ça sera beau ? - Certainement. - Alors nous devons y aller tout de suite ! - Mais nous n’avons pas encore fait beaucoup de belles choses... - Grand-père, lui, les avait faites ? - Oui. - Qu’est-ce qu’il avait fait ? - Il avait construit une maison et avait cultivé un potager. - Et qu’est-ce qu’il avait fait Toto, mon petit cousin ? Un voile de tristesse tomba sur le visage du père qui lança un regard ému à sa femme, et répondit : - Lui aussi il a construit une petite maison avant de s’en aller. - Lolo, le fils des voisins, lui au contraire il me tape et ne fait rien de bon. - C’est vraiment un coquin. - Alors lui il ne mourra pas. - Seulement quand Dieu l’aura voulu. - Même s’il ne fera rien de bien ? - Tout le monde meurt. Qui accomplit de bonnes actions ira auprès de Dieu et qui se comporte mal ira en enfer. La petite fille poussa un soupir et se tut. Le père se rendit compte que l’entreprise était vraiment ardue. Il ne savait combien d’erreurs il avait commises. Le bombardement de « pourquoi » avait réveillé en lui des questions enfouies dans son intimité. Toutefois la petite ne tarda pas à revenir à la charge en disant : - Je veux toujours être avec Nadia. Le père la regarda stupéfait. - A l’heure de religion aussi ! L’homme éclata en un rire sonore, et sa maman, aussi, ne sut pas résister et se mit à rire. Et il commenta en baillant : - Je n’imaginais pas pouvoir soutenir une telle conversation ! La maman, pour le consoler, commenta : - Notre fille grandira et un jour tu pourras lui expliquer toutes les choses que tu sais sur la question. Son mari se tourna fâché vers elle pour comprendre si elle parlait sérieusement ou si elle se moquait de lui. Mais sa femme s’était déjà remise à coudre. Traduction d’Océane Le Gall Zenit.org, 2006. Tous droits réservés - Pour connaitre les modalités d´utilisation vous pouvez consulter : www.zenit.org ou contacter infosfrench@zenit.org - Pour recevoir les news de Zenit par mail vous pouvez cliquer ici |