Publié le : 20 décembre 2011 Source : Zenit.org
Les news« Catholicisme et culture européenne », par le Prof. Capelle-DumontROME, mardi 20 décembre 2011 (ZENIT.org) – « Catholicisme et culture européenne », c’est le thème de la conférence du Prof. Philippe Capelle-Dumont, lors d’un colloque sur l’Europe et la nouvelle évangélisation, organisé à Rome le 22 novembre par le Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe (CCEE) qui célébrait le 40e anniversaire de ses activités « au service de la communion entre les évêques en Europe ». Cette rencontre, organisée par CCEE avec le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, a débuté par une intervention du cardinal secrétaire d’État Tarcisio Bertone et la présentation du président du CCEE, le cardinal Péter Erdő, archevêque d’Esztergom-Budapest (Hongrie). Au centre des travaux, les interventions du prof. Philippe Capelle-Dumont, professeur à la Faculté de Philosophie de l’Institut Catholique de Paris sur le contexte culturel en Europe aujourd’hui et l’Évangile, et de M. Luca Volonté, parlementaire au Conseil de l’Europe sur l’apport des catholiques à la vie sociale et politique européenne. La conclusion a été confiée à Mgr Salvatore Fisichella, président du dicastère du Vatican co-organisateur du colloque. Le post-modernisme, affirme notamment l’auteur « reste en quête d’une nouvelle alliance qu’il ne peut à vrai dire donner de lui-même ». Il est caractérisé par « le fragmentaire », et il « s’épuise dans la recherche d’une communication à laquelle manque le principe de reconnaissance ». L’auteur préconise le « recours aux trois principes de différenciation, de reconnaissance et de délivrance, et à leur conjonction qui forme une quatrième disposition ; celle-ci ne récuse point les trois antécédemment relevées, elle les assume nettement aux plans théorique et pratique, dans la figure conséquente de l’alliance. » Il conclut : « Le catholicisme en Europe comme ailleurs doit « demeurer ». Précisément, l’Evangile selon St Jean invite à « demeurer », mais propose d’habiter cette demeure, de façon tout à fait spécifique : il croit moins à l’Histoire qu’à la Promesse qui la fonde. A la question : « Où demeures-tu ? », il est en effet répondu : « Venez et vous verrez ». (Jn 1,38-39) Le lieu du christianisme n’est autre que le temps de l’invitation courageuse et de la promesse gracieuse. » Nous publions ci-dessous le texte intégral de la conférence du prof. Capelle-Dumont, avec l’aimable autorisation de l’auteur : Catholicisme et culture européenne Eminences, Excellences, Mesdames, Messieurs, Permettez-moi de remercier S. Ex. Mons. Rino Fisichella pour son invitation, qui m’honore, à délivrer cette conférence devant votre prestigieuse assemblée et à la prononcer en français ; j’aurais volontiers tenté de la prononcer en italien mais j’aurais été alors et inévitablement soumis aux légitimes reproches que l‘on adresse aux français, lesquels ne disposeront sans doute jamais, en effet, des capacités linguistiques de leurs collègues européens. Le thème de ma communication, tel qu’il m’a été demandé de la développer, concerne le contexte culturel de l’Europe et le destin actuel du catholicisme. Nous nous trouvons à cet égard depuis trois décennies environ dans une situation dont le paradoxe s’est cruellement accentué ; d’une part, nous savons que l’histoire de l’Europe s’est construite selon les inspirations originaires du christianisme ; d’autre part, nous observons que l’espace ainsi créé, deux mille ans après, ne confère au catholicisme qu’une place régionale. Que s’est-il passé ? Si les circuits communs de la culture admettent volontiers sous la pression des faits que le christianisme a inventé les hôpitaux et les universités, ils sont moins enclins à lui reconnaître un rôle historique dans la conception sacrée de l’être humain, ou dans l’avènement de la science moderne. Plus gravement, les liens entre d’une part, une Europe constituée de facto sur le double horizon de l’universalité et de la liberté et d’autre part, les forces historiques du christianisme, n’apparaissent plus clairement. On répète ainsi à satiété et sans scrupule excessif, que la philosophie des Lumières et les lois de laïcité subséquentes, ont formé une rupture radicale, instauratrice et salutaire à l’égard de la religion chrétienne et de son obscurantisme dogmatique, ouvrant enfin l’Europe à ses potentialités libératrices. On en oublie que le christianisme, en dépit de ses péripéties historiques, a non seulement inventé mais aussi promu en Europe, pour l’Europe et au-delà, la distinction théorique du temporel et du spirituel, inspirant la séparation pratique des ordres politique et religieux, qu’il a stimulé l’idée d’une espérance de l’humanité, et donné mille gages de son investissement dans la construction de l’histoire. Tout tient en effet dans le refus de reconnaitre au christianisme le mérite d’avoir formé le paradigme principal des cadres juridiques, de maintes conceptualités scientifiques et philosophiques de l’histoire européenne. Il n’est pas rare, face à une lecture aussi arrogante qu’amnésique, qu’un certain catholicisme européen connaisse la tentation de l’intimidation, ne voyant d’autre option que de voir survivre celui-ci selon trois modes de dilution à peine entrevus dans leur désastre : l’humanisme politique, la ferveur esthétique et la recherche des rythmes de vie. On peut en effet opérer un premier constat assez radical : malgré de nombreuses et heureuses dénégations, certaines pratiques internes ou externes au christianisme n’ont peut-être pas aujourd’hui entièrement rompu avec ces trois types de dilution politique, esthétique et pragmatique du message chrétien. La première forme de dilution tient à l’idée selon laquelle les sociétés démocratiques réaliseraient l’idéal de vie en commun, promu par l’Evangile de fraternité, ce en rupture avec la démocratie grecque encore élitiste. Parvenues elles-mêmes à la fin de l’histoire annoncée, les traditions religieuses sembleraient alors devoir jouer leur destin non pas, comme on le disait encore il n’y pas si longtemps, dans leur disparition, mais en étayant les forces de l’échange humanitaire. La chose nouvelle tient à ce que l’on affirme volontiers ici la nécessité de favoriser un christianisme culturel voire institutionnel assurant les stimulations nécessaires au lien social. En réalité, cette vision progressive d’affranchissement démocratique qui s’était nourrie de sa propre auto-sacralisation se heurte aujourd’hui durement à la réalité de sociétés sans ressort, comme Charles Péguy l’avait prophétiquement aperçu voici un siècle : cette équation revendiquée entre le christianisme et la démocratie semble-t-elle ne protéger ni de l’extinction du christianisme ni de la démocratie. Un autre type de dilution du catholicisme a lieu paradoxalement dans les phénomènes d’attraction que suscite son patrimoine esthétique : comme pouvait le dire Châteaubriand dans le Génie du christianisme, on exalte la beauté et la sublimité mystique, littéraire, émotionnelle qu’a engendrées et engendre encore le christianisme. Dans le meilleur des cas, on n’hésite guère à souhaiter la permanence d’un christianisme capable de régénérer des équilibres symboliques nécessaires à l’inscription sensée des humains dans le monde. Pourtant on se demandera si, dans le cadre de certaines pratiques internes au catholicisme européen elles-mêmes, n’a pas été rompu le lien entre la positivité des manifestations de l’art chrétien et sa sève créatrice. L’art chrétien est spirituel en effet autant qu’il est charnel et sans doute n’est-il charnel que d’être spirituel. La disparition de ce que l’on peut appeler la dramatique propre à l’art chrétien, peut ainsi produire des vagues émotionnelles douces. Réinterroger nos concepts C’est de ce point de vue en quelque sorte « renversé » par lequel le catholicisme se présente comme une mémoire propre de déchiffrement historique, qu’il faut tenter de réexaminer, à défaut de liquider, deux catégorisations massives qui ont servi à désigner l’héritage européen : sécularisation et postmodernité. Le premier vocable, désormais usé, repose sur une ambivalence constitutive ; il a été sollicité pendant de longues décennies pour indiquer un double mouvement historique d’autonomisation des réalités terrestres et de dénaturation de la tradition catholique, renvoyant en cela à une « bonne » et une « mauvaise » Histoire. Mais lorsque qu’un concept en vient à subsumer des réalités aussi contradictoires, il est bon et sans doute inévitable que congé lui soit au moins provisoirement donné. D’une certaine manière, le succès du lexique de la « sécularisation », enregistré pendant près d’un siècle n’aurait été guère possible sans la textualité biblico-chrétienne lui-même qui en a fourni des étais métaphoriques : qu’il s’agisse de la succession « des âges » chez Joachim de Flore ou du schème du laisser-être divin. C’est que le catholicisme est, dans son histoire politique et religieuse, indissociable du refus de la totalité ; il ne cesse, malgré ses erreurs passagères, parfois graves, de diffracter les pouvoirs (principe de subsidiarité) et de promouvoir la diversité des rationalités (théologie, philosophie et science.) alors même qu’il les replace dans le mystère du don de Dieu. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’histoire de la « sécularisation » se soit jouée dans deux affirmations « théo-logiques » liées à l’interprétation de la constitution occidentale de la pensée : « Les dieux se sont enfuis » (Hölderlin) et « Dieu est mort » - Dieu des valeurs (Nietzsche). De ce point de vue, le problème de savoir si la sécularisation fait sens hors Occident et entièrement posé Un autre concept massif, est omniprésent depuis plus de deux décennies dans le débat socioculturel, philosophique et théologique : le « postmoderne ». Il est permis de demander si un tel concept, consommé sans modération en bien des lieux du globe, a été à ce jour entièrement affranchi des considérations quelque peu fétichistes qui l’entourent d’un colloque à l’autre, d’un article à l’autre. Tenu pour une sorte de nouveau Deus ex machina de l’observation sociologique, ou pour un concept opératoire dans la désignation métaphysique de notre présent, ou bien pour un concept flou et indéterminé, il laisse, en raison même des controverses qu’il suscite, le sentiment paradoxal de ne pouvoir être contourné. C’est de ce point de vue que s’entend adéquatement la cohabitation actuelle, parfois agitée, du relativisme des valeurs et du développement des affirmations religieuses, sacrales et sectaires. La métaphore « spatiale » permet de comprendre que le postmoderne n’est pas de soi relativiste : il intègre des postures qu’on a pu qualifier d’antimodernes, ou même d’« anté-modernes », farouchement anti-relativistes et ce n’est que paradoxe apparent s’il intègre tout autant des postures « modernes ». En effet, le post-moderne a brisé l’horizon des eschatologies hyperboliques au bénéfice de la meilleure appropriation possible de notre condition de finitude ; il n’a plus d’histoire, il est ainsi paysage, mais sans paysagistes ; il n’a plus de principe unitaire si ce n’est celui qui se confond avec l’accueil de toutes les dissemblances y compris celles du moderne et de l’antimoderne. C’est pourquoi l’on peut affirmer que si le moderne « accompli » est hégélien, le postmoderne est plutôt nietzschéen car telle est sa plaidoirie : il veut faire parler les forces pulsionnelles de la vie par-delà le bien et le mal, dans l’éternel retour des nécessités indissolubles, celle de l’antique stoïcisme moins le culte. Mais notre propos permet de comprendre aussi la nouvelle mise en cause de l’idée de démocratie par ceux qui ne se résignent pas au péril que celle-ci fait courir, dans son effet de régionalisation, au christianisme. Réduit au seul mode de contribution civique (ce qu’il est aussi certes), le christianisme ne peut que mourir ou bien survivre selon les trois modes de dilution que nous avons épinglés plus haut. Or, sans être total, le christianisme est intégral ; et sans être lui-même la récapitulation de l’histoire, il en incarne cependant le trait divin. Trois « stratégies » récentes Face à cet ensemble de données paradoxales, les catholiques comme tels n’ont pas manqué, ces dernières décennies et années, de ressources pour tenter de tirer parti d’un présent revendiqué comme « sécularisé » et/ou « postmoderne ». Plusieurs théologiens de belle rigueur ont soutenu non sans force l’hypothèse selon laquelle le « postmoderne » où cohabitent toutes les postures, forme en creux l’appel à une théologie « mystico-prophétique » et constitue une chance pour la tâche traditionnelle de crédibilité chrétienne. A la stratégie largement orchestrée dans les années 1960-70 d’un christianisme socialement retiré, soutenue par l’effet d’un détournement de kénose et étayée par la métaphore évangélique du levain dans la pâte, a succédé en contraposition délibérée, dit-on, une stratégie de la visibilité, appuyée cette fois par l’injonction non moins évangélique de manifester la lumière du monde. S’il est certes possible de relire sur cette base critériologique, toute une partie de l’histoire du christianisme, en réalité depuis l’après-seconde guerre mondiale et jusque dans les années 1990, on peut toutefois se demander si elle est à la hauteur de ce qu’exige la compréhension des difficultés structurelles qui ont accompagné et accompagnent encore la présence du catholicisme au sein des sociétés du monde. On pourrait d’ailleurs aisément démontrer que les deux positions contrastées de l’enfouissement et du témoignage explicite, traduisent des postures repérables au sein des sociétés occidentales elles-mêmes qui furent jusque dans les années 1960, structurées par l’idée d’un progrès immanent à l’histoire, puis marquées par l’explosion des expressions émotionnelles, expérientielles et collectives. Ainsi en venons-nous à évoquer une troisième position puissamment revendiquée, notamment dans et par toute une constellation théologique des plus éminentes qui va de l’héritage de Hans Urs von Balthasar à la « Radical Orthodoxy ». Les déficits inhérents à la dialectique de l’enfouissement et du témoignage émotionnel étant enregistrés, une telle constellation s’est faite messagère d’une proposition par laquelle il demeure sans aucun doute essentiel de passer mais qu’il conviendrait, non moins, de prolonger. La chose est entendue : si d’un côté, l’on doit renoncer à l’illusion selon laquelle la présence socialement cachée du chrétien produirait par « induction », la reconnaissance du message dont elle il est porteur et, si d’un autre côté, l’on doit éviter de lier le destin de ce même message à la seule sphère expérientielle, sans doute convient-il de tirer parti, comme il fut dit, d’un « retour au centre », là où la Révélation dispose elle-même de ses conditions de crédibilité, et connaît mieux que quiconque le secret de sa communication : non plus en vertu de l’Idée de progrès historique ni sous les injonctions de la subjectivité conquérante, mais avec les figures qui convergent dans la figure du Crucifié/Ressuscité et dont l’annonce est prise en charge par l’Eglise. La quatrième disposition Face aux menaces qui pèsent dans la rencontre des civilisations, l’affirmation naïvement identitaire devrait, dit-on, laisser place avantageusement, dans la conversation civique, à la recherche d’un dénominateur commun des valeurs, capable de fonder une normativité universelle. Le débat entre « communautauriens » et « libéraux », initié aux Etats-Unis dans les années 1970-1980 avec John Rawls, Alasdair MacIntyre et Charles Taylorplus récemment Michaël Walzer, puis exporté avec plus ou moins de force et de sérieux, en Europe et ailleurs, et qui a sans doute le plus exacerbé la question théorique des identités particulières, est en grande partie derrière nous. Ce débat a cependant porté avec une belle acuité un problème fondamental qui concerne notre capacité théorique et pratique à nouer un langage d’universalité dans un langage de tradition. L’opposition entre un formalisme kantien malencontreusement désincarné, mal compris au sein de tant de commentaires, et un corps de tradition vite soupçonné d’ethnocentrisme, est sans doute encore trop artificielle. Il nous faut la surmonter et laisser place à d’autres alternatives que, par vocation, le christianisme doit pouvoir susciter. Comme l’indique régulièrement Benoît XVI, c’est dans l’approfondissement de l’identité et non pas malgré elle que nous avons toutes chances de nous situer sur l’horizon de l’universalité recherchée. L’appel est fondamental et nous convie autant aux audaces qu’aux précautions : face aux données de fragmentations des communautés, ou des genres (gender), y-a-t-il une manière chrétienne, catholique, de traiter la question de l’identité de telle sorte qu’un universel opératoire, frais, neuf, puisse surgir ? * Le principe de différenciation. * J’en viens donc naturellement, après le principe de différenciation ou de différance ainsi décliné, à la formulation du second principe que celui-ci appelle : le principe de reconnaissance. Il ne suffit pas en effet d’exalter la différenciation ; il faut encore pouvoir la susciter et la nourrir. Cet effet appartient au geste de reconnaissance dont le catholicisme est l’initiateur et dont il attend l’universalisation. Concrètement, on peut faire l’hypothèse sérieuse que l’histoire culturelle de l’Europe depuis 4 siècles s’est élaborée selon un principe de différenciation devenu fou et, ainsi, devenu faible : qu’il s’agisse de la résorption de l’eschatologie dans le progrès, et de l’espérance dans la nécessité. On peut, de là, faire le pari que le principe de reconnaissance exprime adéquatement ce que nos sociétés recherchent secrètement, mystérieusement, dans la mise en place de leurs nouveaux rites, et leurs nouveaux rythmes. Le catholicisme peut se demander si la ritualité transformante dont il est dépositaire, i.e. la sacramentalité, ne constituera pas à nouveau demain le socle fondamental pour la mise en jeu de la reconnaissance humano-divine : reconnaissance d’alliance, reconnaissance de dette et reconnaissance de territoires. Il s’agit donc de communiquer en apprenant à surmonter - par-delà les candeurs de la tolérance aveugle, et donc en adoptant des stratégies efficaces mais calmes - les résistances diverses que rencontre la positivité chrétienne. Par exemple, dans une perspective interreligieuse qui ne renâcle pas à l’examen des « choses mêmes », on demandera comment le coefficient herméneutique qui constitue un bien pour le christianisme et le judaïsme - d’autant plus qu’ils l’ont en bonne part suscité - concerne le rapport que d’autres sphères religieuses entretiennent avec leurs textes sacrés ainsi que la communication des messages que ceux-ci sont censés porter. Ainsi se présente le troisième principe annoncé : le principe de délivrance. Sans doute sommes-nous à cet endroit à la pointe la plus extrême de nos difficultés, celle qui en réalité, les rassemble toutes. Dans ce principe - on doit pouvoir l’affirmer calmement -, le « catholique » joue, sans exclure qui ou quoi que ce soit, son identité totale. Car sa tradition, son inspirateur permanent, l’Esprit du Christ, s’invitent pour enfanter et épanouir notre être-au-monde et, à cette fin, pour délivrer, sauver, chercher ce qui va à sa perte. « Le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10) ; « Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs » (Mt 9,13) ; « Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance » (Jn, 10,10). Ces séquences évangéliques qui fournissent les meilleurs étais citationnels, ne condamnent pas le principe de délivrance à l’attente passive ni à la néantisation des désirs humains ; moins encore, elles ne le reconduisent au « Prinzip Hoffnung », (le principe-espérance) de Ernst Bloch certes fasciné par la fonction utopique du « pas encore », mais qui restait emprisonné dans le geste d’horizontalisation du religieux. Le principe de délivrance est aussi éloigné que possible d’une éthique des valeurs communes, sorte de dénominateur commun des déterminations civilisatrices, qui dissimule au fond très mal son formalisme intellectualiste. Le principe de délivrance, une fois lui-même délivré d’une représentation anhistorique du Rédempteur et, plus encore, affranchi des théodicées sécularisées qu’a tragiquement éprouvées le 20è siècle, se manifeste lorsque le sujet apprend, en vertu d’une disposition qui l’excède toujours déjà, ce qu’est le geste divin et historique d’accomplissement et solidaire de soi et de l’autre. Comme disait le maître de Ricoeur, le sage Nabert : « Le désir de Dieu se confond avec le désir d’une compréhension de soi. Ce dernier surgit dans la conscience qui s’éprouve à tout instant capable de se reprendre sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle fait (…) aspirant à une délivrance, l’espérance d’une délivrance ». C’est l’éthique de la relation qui trouve dans le geste de délivrance toute sa détermination et toute sa puissance jaillie de la souffrance, elle se fait violence. Je conclus d’un triple mot. Le postmoderne récuse les anciennes coalitions tant de la sécularisation (progrès immanent et autoréférence du sujet) que de l’antimoderne (haine de l’histoire et fondamentalismes), mais il reste en quête d’une nouvelle alliance qu’il ne peut à vrai dire donner de lui-même et qu’appellent tous les registres de différenciations, théoriques et pratiques. Rome © Prof. Philippe Capelle-Dumont Zenit.org, 2006. Tous droits réservés - Pour connaitre les modalités d´utilisation vous pouvez consulter : www.zenit.org ou contacter infosfrench@zenit.org - Pour recevoir les news de Zenit par mail vous pouvez cliquer ici |