Publié le : 9 janvier 2011 Source : Zenit.org
Les newsQuand le désaccord devient une sentence de mortROME, Dimanche 9 janvier 2010 (ZENIT.org) - Lesdites « lois anti-blasphème » focalisent périodiquement l’attention internationale, par exemple récemment avec le cas de Asia Bibi, une chrétienne condamnée à mort sous prétexte de blasphème contre Mahomet. Les chrétiens pakistanais vivent cependant avec ces lois, et les endurent depuis 20 ans ou plus. Plusieurs ONG dans le monde entier tentent d’assister les chrétiens au Pakistan quand ils sont victimes de cette réglementation anti-blasphème, ou du climat général de discrimination. Le Centre américain pour le droit et la Justice (ACLJ) est l’une de ces organisations. Shaheryar Gill, formé aux Etats-Unis et en Corée, est avocat-conseil associé de ce centre. Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », Gill porte un regard de l’intérieur sur ces lois anti-blasphème et explique les raisons d’espérer pour le Pakistan. Q : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous-même ? Vous êtes né et avez grandi au Pakistan ? Comment en êtes-vous venu à faire ce type de travail ? De quel type de discrimination parlons-nous ? Que signifie la « loi anti-blasphème » ? De quoi s’agit-il exactement ? Vous dites que cette loi affecte chrétiens comme musulmans. Comment pourrait-elle affecter un musulman ? Que vous soyez chrétien ou musulman, si vous dites quelque chose de péjoratif sur l’islam, n’importe qui, l’entendant, peut se rendre aussitôt au poste de police et déposer une plainte pour blasphème contre vous. Mais il faut rappeler que ces lois ne sont pas seulement appliquées contre de prétendus blasphèmes, mais également dans le cas de différends personnels entre deux personnes. Par exemple, si une personne décide de donner une bonne leçon à une autre, elle va au commissariat de police et la dénonce pour blasphème. Ainsi, ces lois sont utilisées aussi à des fins personnelles. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de l’aide que votre ONG a pu apporter à des personnes qui ont été confrontées à ce problème de lois sur le blasphème ? Sur ce, ils ont eu une petite altercation. Quelques personnes sont intervenues et ont arrêté la dispute, et chacun est rentré chez soi. Quelques heures après, une famille musulmane a rassemblé d’autres personnes et agressé, battu la famille chrétienne. Le lendemain, ils ont annoncé à la mosquée qu’un chrétien avait profané le Coran. Une foule s’est alors rassemblée et a attaqué 135 familles de ce village, et cela uniquement pour une querelle sans importance entre deux personnes. Une querelle peut donc être facilement politisée ? Vous avez dit que "chuhra" est un terme péjoratif pour les chrétiens. Mais, d’une façon générale, quels sont les rapports entre chrétiens et musulmans au Pakistan ? Quelle est la sanction typique en cas de blasphème ? Il existe différentes peines selon le type de violation en vertu de l’article sur le blasphème du code pénal pakistanais. La sanction la plus lourde est la peine capitale si vous avez proféré des paroles contre le prophète de l’islam. A-t-elle déjà été appliquée ? Vous avez longuement évoqué les lois sur le blasphème. A quelles autres formes de discrimination sont confrontés les chrétiens au Pakistan ? Cela étant, la constitution accorde des droits fondamentaux : liberté d’expression et liberté de religion, mais ces libertés sont sujettes à certaines restrictions. L’article 19 de la constitution, par exemple, accorde la liberté d’expression, liberté de parole, mais la soumet à des « restrictions raisonnables », par exemple pour motifs de la « gloire de l’islam » ou l’ordre public. Mais ces lois n’ont pas respecté les restrictions. Depuis 1986, date de la promulgation de la loi d’origine sur le blasphème, Section 295 C, jusqu’à 2009, on a compté plus de 900 cas de blasphème. Au lieu de stopper les cas de blasphème ou de les réduire, ces lois ont contribué à les augmenter. Ces cas sont, pour la plupart, fondés sur de fausses accusations. Maintenant, une fausse accusation est en soi une forme de blasphème. Donc ces lois, censées protéger la gloire de l’islam, ont en fait violé la gloire ou le caractère sacré de cette religion, quand les gens lancent des accusations mensongères contre d’autres. Avez-vous expérimenté personnellement ces types de discrimination ? Pas spécialement de persécution, mais discrimination oui. Mes amis musulmans m’appelaient le "chuhra". Il s’agit d’un terme historiquement utilisé pour désigner des hindous convertis au christianisme sous la domination britannique dans le sous-continent. Ces convertis étaient pour la plupart des intouchables et n’étaient pas bien traités par les Hindous. Le terme a été ensuite importé et utilisé pour désigner les chrétiens comme des citoyens de basse caste. Il est intéressant que vous mentionniez ceci parce qu’en 1947, quand a été créé le Pakistan, il a été défini la « maison des purs » - la Terre des purs -et, en même temps, le premier président a décrété que les chrétiens seraient libres d’aller dans leurs églises et de prier. Les chrétiens peuvent-ils vivre leur foi ouvertement ? Peuvent-ils exprimer leur foi ? A quoi s’exposerait un chrétien, si on découvrait qu’il essaie de convertir quelqu’un ? Et un musulman s’il faisait de même ? Si je me souviens bien, il y a eu des cas par le passé où des gens ont été tués ou agressés par leurs concitoyens pour s’être convertis au christianisme. Dans le cadre de votre travail pour le Centre américain pour le droit et la justice, avez-vous eu à traiter de cas juridiques de musulmans convertis au christianisme et qui s’adressent à vous pour solliciter des conseils et une assistance juridiques ? Nous avons eu le cas au Pakistan du fils d’un pasteur accusé de vol par la police locale. La police avait arrêté un certain nombre de personnes, puis les avait tous relâchés - tous des musulmans - sauf le fils du pasteur. Ils l’ont torturé et lui ont brisé le dos. Nous représentons juridiquement ce jeune. Il ne peut pas marcher. C’est une situation terrible. La police l’a menacé de mort s’il la dénonçait devant les juges. Nous sommes confrontés en permanence à ces types de discrimination, et il s’agit bien d’un cas de discrimination : le fait même qu’ils aient relâché tous les autres et qu’ils l’aient arrêté et torturé, lui seul, au lieu de le traduire devant les tribunaux, et de les laisser décider. C’est pour cela que nous avons des tribunaux. Malheureusement, la police agit comme juge et jury, parce que lui est chrétien. Vous faites un travail délicat, parce que celui-ci touche à la culture, à la foi et à la loi de cette culture particulière. Cela ne doit pas être facile... Selon vous, les tensions grandissantes dans la communauté internationale, par exemple, en Irak et en Afghanistan - affectent-elles vos relations entre chrétiens et musulmans ? Maintenant, venons-en à votre question : l’islam est également une religion communautaire, ce qui est une très bonne chose ; mais en même temps, quand ils voient ces guerres menées contre un autre Etat musulman, l’Irak ou l’Afghanistan par exemple, ils se sentent responsables et solidaires de ces musulmans et cherchent ensuite à se venger sur les chrétiens locaux qu’ils perçoivent comme des agents américains. C’est un facteur, je dirais, qu’il est important de prendre en considération pour expliquer cette augmentation de la violence à l’encontre des chrétiens. Nous avons longuement évoqué les difficultés, mais il doit y avoir aussi des histoires de soutien entre les communautés musulmanes et chrétiennes, ou peut-être des histoires où des musulmans ont donné refuge dans leurs maisons à des chrétiens qui étaient en danger ou risquaient d’être attaqués ? Donc une organisation comme la vôtre ne joue pas seulement un rôle juridique, mais également de protection qui est important pour faire davantage pression sur, par exemple, le gouvernement pakistanais, pour qu’il respecte ses propres lois et encourage leur application en faveur de toutes les minorités au Pakistan ? Beaucoup de chrétiens locaux ont abandonné, plié bagage et sont partis. Pourquoi les jeunes s’en vont-ils aujourd’hui ? Et en quoi cela menace-t-il les chrétiens au Pakistan ? Y a-t-il de l’espoir pour les chrétiens ? De l’espoir pour votre pays ? Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED). Sur le Net : - Aide à l’Eglise en détresse France - Aide à l’Eglise en détresse Belgique - Aide à l’Eglise en détresse Canada - Aide à l’Eglise en détresse Suisse Traduit de l’anglais par E. de Lavigne Zenit.org, 2006. Tous droits réservés - Pour connaitre les modalités d´utilisation vous pouvez consulter : www.zenit.org ou contacter infosfrench@zenit.org - Pour recevoir les news de Zenit par mail vous pouvez cliquer ici |