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 - 15 avril 2024 - Saint Paterne
Publié le : 22 novembre 2006 Source :
 
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« Même les bourreaux ont une âme » : Une histoire de pardon

Quarante ans après la guerre son bourreau veut la voir. Les Editions CLD publient le témoignage de Maïti Girtanner. Une exceptionnelle histoire de pardon. Entretien avec l’éditeur, Jean-Yves Riou.

Zenit : Vous publiez le premier livre sur l’histoire de Maïti Girtanner...

J.-Y. Riou : Oui. Il y a dix ans, le 13 novembre 1996, l’émission « La Marche du Siècle » offrait aux téléspectateurs de France 3 une soirée intitulée « La mort, la haine, le pardon ». Parmi les invitées de Jean-Marie Cavada : Maïti Girtanner, soixante-quatorze ans. L’émotion suscitée par son témoignage marqua ce soir-là des millions de personnes. Quarante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, son bourreau, un médecin nazi, débarquait à Paris. Il voulait la voir.

Depuis, l’histoire de Maïti Girtanner a été souvent racontée et selon des genres différents (portraits, interviews, BD, etc.), notamment dans la presse chrétienne. Il existe aussi un très beau documentaire, « Résistance et pardon », réalisé par le jésuite Michel Farin pour le Jour du Seigneur (France 2). Ce documentaire a été primé à l’époque de sa diffusion lors d’un festival du documentaire en Suisse. Avec l’autorisation de l’auteur, nous avons d’ailleurs reproduit en annexe, le dialogue qu’il a eu avec Maïti Girtanner autour de la passion selon l’évangile de saint Marc. Dialogue qui servit pour la réalisation du documentaire et qui permet de bien saisir la personnalité et la spiritualité de Maïti. Dans le secteur de l’édition, il y a un mois, à peine, le 12 octobre 2006, les Editions Robert Laffont éditaient un livre de la journaliste Guillemette de Sairigné, intitulé : « Milles pardons, Des histoires vécues, Une exigence universelle ». Ce livre consacre évidemment quelques pages au cas de Maïti Girtanner, qui serait aujourd’hui décédée... mais ce n’est pas le cas ! Une universitaire américaine se prépare aussi à raconter cette histoire dans une galerie de portraits de femmes pendant la guerre. Mais il appartenait à Maïti, elle-même, de raconter sa propre histoire. Dix ans après « La Marche du siècle », elle livre, enfin, son témoignage dans « Même les bourreaux ont une âme ».

Zenit : Maïti était entrée dans la résistance. Pouvez-vous nous rappeler dans quelles circonstances ? Et comment fut-elle arrêtée ?

J.-Y. Riou : Petite-fille d’un professeur du Conservatoire de musique de Paris, Maïti Girtanner rêvait à une carrière de pianiste. Son entrée en Résistance est le fruit du hasard, comme celles de centaines d’autres personnes brutalement confrontées à la guerre nazie.

Ce sont souvent les circonstances qui fabriquent le résistant : la défaite de la France, une maison située sur la ligne de démarcation, une frontière (la Vienne), des candidats au passage en zone interdite... On ajoutera le tempérament. Pour poser des actes de résistance, il faut du courage. Et peut-être, aussi, l’insouciance de la jeunesse. Maïti avait dix-huit ans quand les Allemands occupèrent la France. Dans le cas de Maïti, d’autres facteurs vont jouer. D’abord, sa nationalité : Maïti est Française par sa mère, mais Suissesse par son père. Et Suissesse alémanique, ce qui signifie qu’elle parle la même langue que l’occupant. Ce qui change évidemment beaucoup de choses. Ensuite la musique : on sait l’importance de cette dernière pour les Allemands. Elle jouera un rôle important dans l’histoire résistante de Maïti.

En 1943, suite à une rafle, elle a été interrogée par la Gestapo qui a fait le lien entre ses différentes activités de résistante.

Zenit : La guerre s’est achevée en 1945. La rencontre avec le médecin nazi, Léo, date de 1984, la marche du siècle, de 1996. Pourquoi un témoignage aussi tardif ?

J.-Y. Riou : Léo est venu rencontrer Maïti en 1984 parce qu’il se savait condamné, atteint d’une maladie incurable. Témoignage tardif ensuite parce qu’elle l’a voulu ainsi. Elle évoque la pudeur, la discrétion. Pourquoi pas ? On pourrait aussi évoquer la psychologie : on sait bien que les faits de guerre, les violences subies sont des épreuves dont certaines personnes ne parlent pas facilement, voire qu’elles ne souhaitent plus évoquer. Maïti Girtanner a témoigné à « La Marche du siècle » parce que des amis l’avaient convaincue de le faire. Elle témoigne plus complètement aujourd’hui parce qu’au soir de sa vie, elle pense que son histoire peut aider des gens à vivre. J’ajoute qu’il n’est pas rare de découvrir un peu par hasard des histoires dont personne ne soupçonnait l’existence.

Zenit : Par exemple ?

J.-Y. Riou : Le coureur cycliste italien Gino Bartali.

Décédé en 2000, Bartali était une légende du Giro (le Tour d’Italie) et du Tour de France. Six ans après sa mort, le 25 avril 2006, Carlo Ciampi, président de la République italienne, lui remettait la médaille d’or de la valeur civile à titre posthume. Pourquoi ? Parce qu’entre-temps, on avait découvert, grâce au témoignage lui aussi posthume d’un résistant juif, que Gino Bartali, l’idole de toute l’Italie, avait contribué au sauvetage de nombreux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. En effet, si la guerre avait momentanément mis un terme à sa carrière sportive, Bartali continuait de s’entraîner, sillonnant les routes de Toscane. Dans les tubes de son vélo : des faux papiers d’identité qu’il déposait dans des couvents italiens.

Zenit : L’histoire de Maïti Girtanner est d’abord une histoire de pardon ?

J.-Y. Riou : Oui. Au fond, l’histoire résistante de Maïti Girtanner est assez banale. On ne fait pas un livre sur toutes les personnes qui ont posé des actes de résistance même si poser un acte de résistance demande du caractère et du courage. C’est la rencontre de 1984 qui rend l’histoire de Maïti Girtanner extraordinaire. Ce qui sort de l’ordinaire, c’est le retour du bourreau et ce pardon donné à cet homme dont les sévices l’ont pourtant handicapée à vie, lui interdisant à jamais de reprendre le piano. Ce sont les convictions chrétiennes de Maïti qui l’ont poussée à pardonner. Ce cas n’est pas unique, nous citons dans la préface le cas d’Annie Maguire ou de Kim Phuc, qui sont d’ailleurs aussi des chrétiennes.

Zenit : Le pardon accordé au bourreau ne signifie pas que l’on minimise l’idéologie qu’il a servie ?

J.-Y. Riou : Evidemment. Les criminels nazis relèvent d’abord de la justice des hommes. Pas du pardon individuel. Votre question est d’ailleurs la première, où l’une des premières, que j’ai posée à Maïti. Il n’est pas question de mélanger les genres. Une chose est de demander pardon et de reconnaître ses fautes. Une autre, d’avoir participé comme acteur à la plus grande entreprise criminelle de l’Histoire. Une victime peut pardonner à son bourreau, même nazi, mais la dimension criminelle du totalitarisme nazi demeure, et les actes posés doivent être jugés et si possible punis.

En, même temps, il ne faut pas perdre de vue que le pardon a non seulement une dimension spirituelle mais aussi sociale. Il peut ouvrir un nouvel espace de liberté et peut modifier le cours tragique de l’Histoire. C’est une évidence. Je me souviens d’un parlementaire d’Irlande du Nord, John Hume, qui m’expliquait que seul le pardon réciproque pourrait changer le destin de l’Ulster et il savait de quoi il parlait, il avait été lui-même et sa famille la cible de plusieurs attentats.

Notre époque a besoin d’actes de pardon. C’est, selon moi, le sens de l’ouvrage de Guillemette de Sairigné, déjà cité, et c’est aussi, pourquoi Maïti a accepté de livrer son témoignage.

« Même les bourreaux ont une âme », de Maïti Girtanner, avec Guillaume Tabard, 202 pages (un cahier photos), 20 euros, en librairie à partir du 16 novembre 2006.


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