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 - 22 avril 2024 - Saint Léonide
Publié le : 4 décembre 2005 Source : Zenit.org
 

 

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Entretien avec M. Pierre Morel, ambassadeur de France près le Saint-Siège

ROME, Dimanche 4 décembre 2005 (ZENIT.org) – « Les divergences, quand il y en a, deviennent des moyens de progresser », affirme M. Pierre Morel dans cet entretien accordé à Zenit au moment de son départ de Rome, après trois ans et demi de service comme ambassadeur de France près le Saint-Siège.

La guerre en Irak, la question des sources chrétiennes de l’Europe, la Terre Sainte, le changement de pontificat… sont des moments que l’ambassadeur a vécus à Rome avec une intensité particulière.

Zenit : Votre ambassade à Rome a été marquée par de grandes initiatives, à travers des colloques ou des rencontres, visant à approfondir les relations entre la France et le Saint-Siège dans différents domaines : l’Europe, la paix en Irak, la question de Jérusalem et de la Terre Sainte. Existe-t-il une convergence de vues entre la France et le Saint-Siège ? Et des divergences ?

P. Morel : Je crois que les convergences l’emportent, et de très loin. Je vois d’abord un engagement profondément partagé en faveur de la paix, de la justice, du développement, et du respect du droit international. Cela résulte de choix historiques qu’a faits la France depuis des siècles, et en particulier depuis cinquante ans au sein de l’Europe. Nous l’avons vérifié en de très nombreuses occasions, chaque fois que nous essayons de nous concerter sur les situations de crise dans le monde – je pense en particulier à l’Afrique et au Proche-Orient – mais aussi dans des moments exceptionnels, et je me réfère évidemment à la crise puis à la guerre d’Irak, fin 2002 début 2003. Alors, et chacun dans son domaine, avec ses raisons d’agir pour la paix, le Saint-Siège et la France ont voulu défendre le respect du droit international. Tout a évolué depuis, et ce que nous souhaitons tous aujourd’hui pour l’Irak, c’est évidemment une situation d’équilibre intérieur, une vie paisible, le plein exercice de la souveraineté et une vraie coopération qui permette à ce pays de retrouver toutes les conditions de son développement. Ce sont des moments que j’ai vécus ici avec une intensité particulière.

Bien sûr, il peut y avoir des divergences. Et c’est une longue histoire. Pendant mille ans, la nomination des évêques n’a pas été une chose simple en France, et l’on voit tout cela avec recul et sérénité aujourd’hui. Il y a des débats sur la laïcité, mais c’est une notion qui fait partie de la vision sociale du Saint-Siège. Nous nous expliquons et nous nous comprenons. J’en veux pour meilleure preuve la très belle lettre du Pape Jean-Paul II le 12 février 2005 aux évêques français pour le centenaire de la loi de séparation de 1905. C’est pratiquement son dernier document officiel, et c’est un très beau message, où l’on retrouve les mêmes ambitions que celles des autorités françaises : après des temps difficiles, nous avons su trouver un dialogue, une relation harmonieuse, une conception très positive et partagée de la relation équilibrée entre l’Etat et l’Eglise, fondée sur le respect mutuel et la coopération quand elle est nécessaire.

Sur l’Europe, ce débat à propos des sources chrétiennes n’était pas seulement l’affaire de la France. Il n’y a de notre part aucun refus de la mémoire, bien au contraire. Le président de la République l’a marqué au moment où nous avons lancé, parce qu’il le fallait, cette loi sur le port des signes religieux, dans le respect de l’ordre scolaire pour l’éducation de tous, mais aussi de la liberté des consciences, puisque le port discret était préservé. En accueillant Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II à Lourdes pour son dernier déplacement hors d’Italie, le 14 août 2005, le Président de la République a redit que la France était « une vieille nation chrétienne ». Simplement, un texte constitutionnel doit faire la part des différentes traditions juridiques et aussi des idées différentes des divers pays membres. Cela n’est pas simple, il faut construire un consensus.

A la fin des fins, tout le mouvement engagé notamment par le Pape Jean-Paul II a permis de poser la vraie question, qui est celle de l’identité de l’Europe, et il faut poursuivre ce débat. C’est pour cela que j’ai tenu ici à ce que chacun se comprenne mieux et approfondisse la réflexion. Quand il y a des différences et des nuances, il faut se souvenir de la « méthode Monnet », celle qui a fait le prodigieux succès de l’Europe. Quand il y a un problème, au lieu de s’opposer, d’en faire un objet de discorde, il faut s’asseoir ensemble et l’examiner pour le régler ensemble. Et à travers toutes les difficultés actuelles de l’Union européenne, je crois que l’on ne doit pas avoir de doute. Cette façon de faire est fondée sur la réconciliation, qui est le grand secret de l’Europe. Je crois que ces épisodes, parfois compliqués, nous éclairent, nous instruisent tous, et nous permettent de rechercher les vrais consensus, ceux que l’on a bien préparés, en se donnant le temps de la réflexion en commun, pour avancer ensemble. Les divergences, quand il y en a ici ou là, deviennent alors des moyens de progresser. C’est ma conviction profonde.

Zenit : Peu de personnes savent que le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques avec près de 167 Etats. Tout au long de votre séjour vous avez accueilli à l’ambassade, à l’occasion de divers événements, les plus hautes autorités de l’Etat français mais aussi du Vatican. Comment présenteriez-vous le rôle de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège ?

P. Morel : J’ai souvent entendu cette question. Elle m’étonne parce que les gens s’interrogent effectivement, alors que nous sommes engagés dans un travail très ancien, qui nous paraît évident. Cette ambassade de France a été la première dans notre histoire. Avant, il y avait des missions temporaires auprès de tel ou tel souverain, mais notre première ambassade permanente a été créée en 1465 auprès du Saint-Siège.

Au fond, cette Ambassade continue, à travers tous les changements de l’histoire, à remplir des missions qui ont été les siennes dès l’origine. Je m’explique.

Premièrement, suivre la vie de l’Eglise dans toutes ses composantes : le Siège apostolique, l’Eglise à travers le monde, et bien sûr celle qui nous intéresse particulièrement, l’Eglise en France. Il y a là un travail très spécifique d’observation et d’échanges pour éclairer la compréhension de la vie de l’Eglise dans toutes ses dimensions par le gouvernement français.

Deuxième dimension, proprement diplomatique : la diplomatie du Saint-Siège est une des grandes diplomaties dans le monde. Non pas par le nombre, mais certainement et de plus en plus par la présence sur le terrain et par la spécificité de sa mission. Je rappelle toujours que même en temps de conflit, surtout en temps de conflit, le nonce ne quitte pas le pays dans lequel il est accrédité, avec tout ce que cela suppose de courage, d’abnégation, et même de sacrifice, je pense aux assassinats tragiques de ces dernières années. Tout cela nous incite à rechercher l’échange, la consultation, la concertation, la coopération concrète dans les situations de crise, de détresse, où l’action spécifique du Saint-Siège est très importante pour l’évolution du système international. J’ai évoqué l’Irak, je n’y reviens pas, les situations africaines, très importantes pour nous, et aussi la vie des communautés chrétiennes au Proche-Orient, portées chez nous par une mémoire vivante de plusieurs siècles. Les perspectives en Asie, les évolutions de l’Amérique Latine, tout cela nous intéresse, et plus généralement encore l’évolution du système international, les grandes questions. Nos meilleurs experts sont venus travailler avec « Justice et Paix », sur la proposition française de financements additionnels pour le développement. Je pense aussi à toutes les questions liées au développement économique, à l’affaire sérieuse des OGM, aux défis d’ordre éthique posés par les sciences et la médecine, à la diversité culturelle, très importante dans le monde d’aujourd’hui. Je ne vois pas de limite aux champs de coopération parce que, dans un monde globalisé, l’Eglise, qui est la plus ancienne et la première des institutions globalisées, est nécessairement partie prenante. Je pense aussi aux transformations de l’Europe. Le lancement de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (C.S.C.E.) en 1972 a suscité cette décision historique du pape Paul VI, avec Mgr Agostino Casaroli [futur cardinal secrétaire d’Etat, ndlr], d’y participer pleinement en temps qu’Etat membre. J’étais alors tout jeune diplomate envoyé en renfort, en février mars 1973, et c’est comme cela qu’à Dipoli, dans les faubourgs d’Helsinki, j’ai découvert la diplomatie pontificale dans ce petit cercle de négociateurs, installé dans l’annexe d’une université. Il y avait là le cher Monseigneur Achille Silvestrini [futur cardinal préfet de la Congrégation pour les Eglises Orientales, ndlr]. Brusquement j’ai découvert la diplomatie pontificale et je ne l’ai jamais oublié.

La troisième dimension de l’action de la France près le Saint-Siège, c’est la culture. Je pense à la figure de mon grand prédécesseur Jacques Maritain, nommé ambassadeur par le général De Gaulle à la fin de la guerre. Il a dit à ce moment-là qu’il restait un philosophe et ne pouvait pas se transformer complètement en diplomate. C’est ainsi qu’il a obtenu le privilège sans équivalent de ce Centre culturel Saint-Louis-de-France, dont nous venons de fêter le soixantième anniversaire. Au-delà des spécificités du Saint-Siège, l’action culturelle est une tradition dans notre diplomatie. Ce Centre, très actif, a évolué avec le temps, mais il continue de favoriser cette rencontre entre le monde intellectuel français et tous ces lieux de réflexion, de recherche, et de formation, que rassemble le Saint-Siège. Je pense en particulier aux universités pontificales, avec lesquelles, à travers tant de colloques, de rencontres et de tables rondes, de présentations d’ouvrages et de symposiums, nous couvrons un champ très actif qui concerne aussi la ville de Rome puisque nous assumons cette activité en coordination avec notre ambassade auprès de la République italienne. C’est désormais un centre polyvalent mais dont le cœur reste tourné vers la Rome pontificale.

J’ai été particulièrement heureux de pouvoir créer il y a un an et demi, le prix Henri de Lubac pour la meilleure thèse soutenue en français dans les universités pontificales, et en préparant tout cela, de découvrir qu’il y avait 25 universités, instituts, athénées pontificaux, avec des centaines d’étudiants francophones. L’idée est justement de prolonger dans le contexte actuel cette longue tradition, et ce fut évidemment une immense chance de bénéficier de l’encouragement et de la pleine participation à l’époque du cardinal Joseph Ratzinger qui avait accepté d’être le président, très actif, du Comité d’honneur, jury de deuxième instance qui attribue le prix. Après le premier prix, l’an dernier, nous venons de l’attribuer pour une deuxième fois, sous la présidence désormais du cardinal Paul Poupard. Je dois dire qu’après la très belle thèse sur l’acédie d’un jeune bénédictin français, le père Jean-Charles Nault, pouvoir couronner cette année une thèse sur le sacerdoce commun chez Thérèse de Lisieux, présentée par une théologienne lettone, Madame Baiba Brudere, m’a donné le sentiment que nous répondions effectivement à un besoin et que nous pouvions jouer pleinement notre rôle.

La quatrième dimension est très originale, mais, elle a également existé dès le départ. C’est la question de ce que l’on appelle les « Pieux établissements de la France à Rome et à Lorette ». C’est une fondation très importante pour nous, qui rassemble depuis 1793 à l’initiative du cardinal de Bernis, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège pendant 22 ans, qui a voulu sauvegarder tout le patrimoine religieux et immobilier transmis par des générations de pèlerins français, qui risquait alors d’être dispersé par la tourmente révolutionnaire. Tout ceci n’a pratiquement pas changé depuis deux siècles et nous permet d’assumer la lourde charge de l’entretien, de la restauration, de la mise en valeur des cinq églises françaises de Rome : Saint-Louis-des-Français, la Trinité-des-Monts, Saint-Yves-des-Bretons, Saint-Nicolas-des-Lorrains, Saint-Claude-des-Francs-Comtois-de-Bourgogne, et aussi la chapellenie française de Lorette où, depuis quatre siècles, à la suite de fondations, donations et patronages, une messe est dite tous les jours par le chapelain français pour la France, dans la « Santa Casa ».

Zenit : Avant d’arriver au Vatican vous avez été pendant de nombreuses années ambassadeur de France en Chine, à Pékin. L’Asie est une nouvelle terre d’évangélisation vers laquelle l’Eglise se tourne, et particulièrement Benoît XVI. Comment analyseriez vous les relations Chine-Saint-Siège aujourd’hui, à la lumière de votre expérience ?

P. Morel : Vous comprendrez que j’aie suivi cette question avec une attention privilégiée et le sentiment que c’est effectivement une des grandes perspectives pour l’évolution future de l’Eglise et de l’action du Saint-Siège. Il s’agit de deux mondes porteurs d’une très longue mémoire, chacun dans son registre, mais on voit bien toute la richesse et les potentialités de cette histoire. Les relations entre l’Eglise et la Chine sont très anciennes. Il ne faut jamais oublier l’épisode négligé, mais à mon avis très important, du nestorianisme, qui a été la première « route de la soie chrétienne » si je puis dire. Puis il y eut les Franciscains du Moyen Age et ensuite l’admirable histoire des pères jésuites, dès le XVIème siècle, enfin l’émergence dès la fin du XIXe siècle d’une véritable Eglise chinoise. Tous ces épisodes font que l’on a, au Saint-Siège comme à Pékin, le sens de l’histoire et des enjeux de civilisations. Je crois qu’il faut suivre tout cela avec une attention particulière mais aussi en prenant en compte toutes les dimensions, et pas simplement l’aspect politique immédiat. Il faut avoir cette vision large des choses, et ne pas s’arrêter à des formules simplificatrices. Dans la vie de l’Eglise catholique en Chine les situations sont très variées. Certaines sont très difficiles, et les autorités françaises n’ont jamais manqué de rappeler leur attention vigilante sur tout ce qui peut se passer dans ce domaine. Il y a aussi de nouvelles dimensions, et en fin de compte plus d’unité entre toutes les communautés catholiques de Chine qu’on ne le dit en général. C’est en tout cas l’impression que j’ai retirée. On a pu percevoir aussi, à l’occasion de l’événement extraordinaire qu’a été le changement de pontificat en avril dernier, le développement de contacts discrets. Observons avec prudence et attention les étapes franchies et rendons hommage aux passeurs qui, tel le Cardinal Etchegaray, ont engagé le dialogue.

Zenit : Quel souvenir le plus marquant vous accompagne au moment de votre départ ?

P. Morel : Je dirais avant tout deux grandes choses : avoir pu vivre et suivre sur place la fin de ce très grand pontificat, par un échange, des rencontres avec le pape Jean-Paul II. J’étais en Russie au moment de son élection en octobre 1978, et je n’oublierai jamais le "silence assourdissant" avec lequel son élection a été accueillie à Moscou. Avoir encore cette chance de le rencontrer, et de suivre la fin d’un pontificat qui a comporté encore quelques pages magnifiques a été une joie !

Il y a aussi, évidemment, la mort du Pape et tout ce qui a accompagné et suivi. Ces semaines d’avril ont été un événement d’envergure mondiale, qui a surpris le monde. Cette immense foule de pèlerins venue à Rome a, d’une certaine façon, porté un message, a fait l’histoire, a orienté l’événement, a marqué une prise de conscience. Et je crois qu’on n’a pas encore complètement pris la mesure de ce qui s’est passé. On a vu, on a été saisi, on a été ému, mais on n’a pas encore complètement compris. Et cela mérite justement qu’on comprenne bien.



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