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 - 6 mai 2024 - Sainte Prudence
Publié le : 3 novembre 2005 Source :
 

 

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Peut-on dévoiler l’intimité d’un vieillard, fût-il l’abbé Pierre ?, par Hippolyte Simon

(Le Monde) lire les commentaires relatifs au dernier livre concernant l’abbé Pierre, Mon Dieu... pourquoi ? (Ed. Plon, 112 p., 13 €, Le Monde du samedi 29 octobre), publié par son "confident", Frédéric Lenoir, j’ai été et je reste profondément choqué.

Ce qui me met mal à l’aise, ce n’est pas tant le contenu de ces prétendues révélations. Depuis l’épisode évangélique dit "de la femme adultère", nous sommes, et heureusement pour nous, délivrés d’avoir à jeter la première pierre [Jean, 8, 3-11]. Alors, en dehors des personnes engagées, qui est concerné ? Que chacun s’examine donc en conscience et s’en remette, s’il le peut, à la tendresse de Dieu.

D’ailleurs, quand on lit la conclusion que l’abbé tire de son expérience, plutôt malheureuse, selon son propre aveu, on retrouve la doctrine la plus classique de la tradition chrétienne : pour être humaine et gratifiante, la sexualité demande à être vécue dans un projet global qui engage durablement les deux partenaires. Il n’y a pas de quoi faire un scoop ! Si, à l’inverse, on nous avait appris que l’abbé Pierre n’a jamais couché avec personne, cela eût été, en un sens, aussi choquant. C’est donc que le problème est ailleurs que dans le contenu de l’information. Dans les deux cas, cela signifie qu’un "ami" de l’abbé Pierre s’est senti autorisé à mettre sur la place publique l’intimité de ce vieil homme.

Que l’abbé Pierre me pardonne ici d’évoquer son âge. L’auteur du livre et l’éditeur dévoilent l’intimité d’un vieillard. Qu’il soit consentant, comme ils le prétendent, ne change rien à la gravité de l’affaire. De toute façon, en faisant cela, ils savent bien que l’opinion publique va se focaliser sur un seul point, et que tout le reste du message spirituel de l’abbé va en être "dévoyé". Car il est triste de voir quelqu’un qui a tant lutté pour défendre l’intimité des pauvres servir aujourd’hui de caution à l’exhibitionnisme et au voyeurisme médiatiques. L’intimité commence, justement, par le fait de disposer d’un toit et d’une chambre à soi... Faudra-t-il maintenant y mettre une caméra ?

C’est donc cela qui me scandalise : le voyeurisme. A quoi sert de construire des maisons, à quoi sert d’invoquer le droit au logement, si on fait passer tous les Français devant le trou de la serrure ? Jusqu’à une date récente, on disait que même les personnages publics ont droit au respect de leur vie privée. Et pourquoi l’abbé Pierre n’y aurait-il pas droit ? Parce qu’il est prêtre ? Parce qu’il est vieux ? Certains médias n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier le procureur américain qui prétendait enquêter sur l’intimité de Bill Clinton et de la trop fameuse Monica.

Aujourd’hui, les mêmes sont les premiers à se servir des révélations de l’abbé Pierre pour vendre du papier ou du temps d’antenne. Ce procureur américain était, disait-on, un fondamentaliste de l’ordre moral. Le rédacteur du livre de l’abbé Pierre agit-il autrement ? Ignore-t-il que l’un des principes fondamentaux de la liberté, dans toute société, c’est la distinction entre le for "interne" et le for "externe" ? Cette pseudo-exigence de "transparence" conduit souvent à la dictature. Ou, en version ridicule, à un gros mensonge d’Etat, comme on l’a vu à propos de la santé du président Mitterrand.

On me rétorquera que c’est l’abbé lui-même qui a fait ses confidences au rédacteur. Et alors ? Est-ce une raison suffisante pour les mettre sur la place publique ? Tout le monde a le droit de faire des confidences, mais celui qui les reçoit a le devoir de les garder pour lui.

Si l’abbé Pierre avait réellement voulu nous faire des confidences sur sa sexualité, il aurait pu le faire, il y a trente ou cinquante ans, à une époque où il rédigeait lui-même ses livres. Il y a dix ans, quand il avait, disait-on, "dérapé" dans l’antisémitisme par sa lettre d’encouragement à Roger Garaudy, des journalistes nous avaient expliqué que l’abbé Pierre n’avait peut-être plus assez d’autonomie personnelle pour résister aux sollicitations de ses amis. Et personne ne l’aurait, cette fois, sollicité ?

Pour le reste, on habille ces révélations d’un prétendu débat autour de l’ordination d’hommes mariés ou de femmes. Mais, s’il s’agissait vraiment de ces débats, ils pouvaient être menés pour eux-mêmes. Et je n’aurais pas été scandalisé par le fait qu’un journaliste sollicite et utilise les idées bien connues de l’abbé Pierre sur ces points. Après tout, c’est de bonne guerre, et on aurait pu, en effet, en discuter.

Pour ma part, je ne refuse pas d’en parler, mais sur le fond. Simplement, je croirais davantage à la bonne foi de ceux qui prétendent en débattre s’ils prenaient la peine de signaler un point de vue différent du leur. Je constate qu’il est impossible de faire entendre un avis divergent. Alors qu’on ne vienne pas me dire que les prétendues "révélations" de l’abbé Pierre sont là pour faire avancer le dossier.

En réalité, ce débat est, ici, un alibi au voyeurisme et à l’utilisation marchande du rayonnement exceptionnel de l’abbé Pierre. Son oeuvre, et l’admiration que nous lui portons tous, méritaient mieux, et autre chose, que ce racolage.


Hippolyte Simon est archevêque de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).

Source : Article publié dans Point de vue du journal Le Monde


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