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 - 22 avril 2024 - Saint Léonide
Publié le : 16 juillet 2014 Source : Zenit.org
 

 

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L’apport de Chiara Lubich à la spiritualité

""Chiara Lubich est une grande mystique catholique de notre temps" : en cette fête de Notre Dame du Carmel, ce 16 juillet, le Fr François-Marie Lathel, ocd, offre à nos lecteurs cette réflexion originale sur la spiritualité de Chiara Lubich, fondatrice du Mouvement des Focolari, et la spiritualité de sainte Thérèse de d’Avila (1515-1582), réformatrice du carmel,  et spécialement son chef d’oeuvre, "Le château intérieur".

*** 

L’apport de Chiara Lubich à la spiritualité : 

du château intérieur au château extérieur

Introduction

            Nous venons de vivre avec toute l’Eglise la canonisation de Jean-Paul II et nous nous préparons à la prochaine béatification de Paul VI, ces saints Papes auxquels Chiara Lubich était si profondément liée. Elle-même, depuis le 7 décembre 2013 est aussi sur le chemin de la béatification.  

            Il y a environ quatre ans,  j’avais eu la grâce d’écrire la préface pour ses Lettres des premiers temps. Je commençais avec cette affirmation : "Chiara Lubich est une grande mystique catholique de notre temps"[1]. Maintenant, après de nouveaux approfondissements, j’oserais dire : "Une des plus grandes mystiques de tous les temps".  En vérité, elle m’apparaît au même niveau doctrinal que Thérèse d’Avila et Catherine de Sienne,  Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux, Docteurs de l’Eglise, Docteurs par excellence de la Mystique Chrétienne. Dans cette merveilleuse "ronde des saints" peinte par le bienheureux fra’ Angelico, Chiara leur donne la main[2]. C’est ainsi que je la comprends et que je voudrais la présenter maintenant, pour mettre en lumière en même temps la continuité et la nouveauté de sa doctrine par rapport à celle de ces grands Docteurs. Il ne faut jamais isoler ou absolutiser un saint, sous peine d’en fausser gravement l’interprétation. On ne peut bien les comprendre que dans la communion, dans la complémentarité. Et alors on découvre avec émerveillement que les saints ne s’additionnent pas les uns aux autres, mais qu’ils se multiplient les uns par les autres.

            Pour mettre en lumière cette grandeur mystique de Chiara,  je vais privilégier deux textes, textes des derniers temps, chronologiquement très proches l’un de l’autre : D’abord sa brève prière à sainte Thérèse d’Avila (début décembre 2002) et ensuite son récit du "Paradis de 1949" aux jeunes du Mouvement (20 décembre 2003).

I/ Une brève prière à sainte Thérèse d’Avila (début décembre 2002)

            Dans les premiers jours de décembre 2002, lors d’un pèlerinage en Espagne, Chiara avait visité le monastère de l’Incarnation à Avila, là où avait vécu la grande sainte Thérèse. Sur le livre d’or du monastère, elle avait écrit quelques lignes dont voici la traduction :  

Merci, sainte Thérèse, pour tout ce que tu as fait pour nous durant notre histoire. Merci ! Mais le plus beau merci, nous te le dirons au Ciel ! Continue de veiller sur nous tous, sur notre château extérieur que l’Epoux a suscité sur la terre comme complément de ton château intérieur, pour faire l’Eglise belle comme tu la désirais. Au revoir, sainte Thérèse, en t’embrassant. Chiara[3].

            Ces simples mots sont à mon avis un des écrits les plus importants de Chiara, dans les dernières années de sa vie, après 60 ans d’une extraordinaire histoire spirituelle, personnelle et communautaire, depuis ce 7 décembre 1943, où elle s’était totalement donnée à Jésus par le voeu de virginité.  Chiara nous offre ici une des meilleures clefs d’interprétation         du caractère proprement mystique de sa vie et de sa spiritualité,  en s’adressant directement à la grande mystique Thérèse d’Avila, Docteur de l’Eglise.  En effet, ce texte est une prière de remerciement et de demande.  Jésus y est désigné comme l’Epoux, et ce titre biblique est fondamental pour Chiara comme pour Thérèse (et pour les deux autres Docteurs carmélitains, Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux), avec le même engagement au service de l’Eglise son Epouse, pour sa continuelle réforme,  pour la rendre toujours plus belle. Dans cette lumière, les deux expressions château intérieur et château extérieur brillent comme deux merveilleux diamants qui vont contribuer à rendre  cette Epouse éclatante de beauté !

            L’expression château intérieur est le titre que Thérèse d’Avila avait elle-même donnée au livre qui est son chef-d’oeuvre, la synthèse de toute sa doctrine.  Chiara, de façon simple et géniale, en parlant à Thérèse dans cette brève prière,  définit l’essentiel de sa propre doctrine en la désignant comme château extérieur. Dès 1950, elle avait utilisé cette expression. En 1984, elle en expliquait la signification en parlant à un groupe d’évêques amis du Mouvement en se référant toujours au château intérieur de Thérèse d’Avila :

Un château intérieur, comme sainte Thérèse appelait la réalité de l’âme habitée par Sa Majesté, à découvrir et à illuminer, c’est bien. C’est le sommet de la sainteté par la voie individuelle. Mais maintenant, le moment est sans doute venu de découvrir, illuminer et construire aussi pour Dieu son château extérieur, pour ainsi dire, avec Lui au milieu des hommes. Ce château, si nous l’observons bien,  n’est autre que l’Eglise, là où nous vivons, et qui par cette spiritualité, peut devenir toujours plus elle-même, plus belle, plus splendide, comme l’Epouse mystique du Christ, anticipation de la Jérusalem céleste dont il est écrit : "Voici la demeure de Dieu avec les hommes ! Il demeurera parmi eux ; ils seront son peuple et lui sera Dieu avec eux" (Ap 21,3)[4].

            Ces deux châteaux symbolisent les deux modalités de la présence de Jésus, avec le Père et le Saint-Esprit, d’une part en chaque personne, et d’autre part dans la communauté des personnes ;  au centre de "l’âme" et "au milieu" des hommes. Ces deux châteaux sont donc complémentaires et inséparables, et l’on ne peut pas  construire l’un sans construire l’autre, selon ce que Chiara écrivait en 2002 :

Depuis que notre Mouvement est né, il a été clair pour nous que le chemin spirituel qui nous était indiqué par Dieu était une voie collective. Ensuite, au long des années, on a vu que, en suivant ce chemin, on édifiait le château extérieur, en face du château intérieur, fruit de la voie plus personnelle de sainte Thérèse d’Avila. Mais pour construire authentiquement le château extérieur (c’est-à-dire notre unité avec les frères dans la réalité du Corps mystique du Christ dans lequel nous sommes tous insérés), nous sommes aussi conscients de la nécessité de notre effort pour améliorer chaque jour, avec la grâce de Dieu, notre vie intérieure, personnelle[5].

            Il s’agit donc de deux châteaux communicants (comme les "vases communicants"), selon les deux mouvements de la charité envers Dieu et le prochain,  vers l’intérieur et vers l’extérieur, vers le centre et vers la périphérie, deux mouvements qui consistent à entrer à l’intérieur de soi pour y rencontrer le Seigneur et à sortir de soivers l’extérieur, pour y rencontrer et servir ce même Seigneur au milieu de ses frères. 

            Le fondement de ces deux châteaux se trouve dans l’Evangile, dans deux paroles essentielles de Jésus. Le fondement du château intérieur de Thérèse,c’est la parole de Jésus en saint Jean : "Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole,  mon Père l’aimera, nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure" (Jn 14,23). C’est la présence de Jésus avec le Père et l’Esprit-Saint, en la personne qui l’aime et garde sa parole, c’est-à-dire qui vit dans son amitié, dans sa grâce. Le fondement du château extérieur de Chiara, c’est la parole de Jésus en saint Matthieu : "Si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord (sumphônèsousin) pour demander quoi que ce soit, cela leur sera donné par mon Père qui est dans les Cieux. Là où deux ou trois sont réunis en mon Nom ; là-même je suis au milieu d’eux" (Mt 18,19-20). Pour réaliser cette autre modalité de la présence de Jésus, une seule personne ne suffit plus. Il en faut au moins deux qui sont unies dans l’amour fraternel.

            Selon Thérèse d’Avila, la porte du château intérieur est l’oraison, c’est-à-dire la prière personnelle comme vie intérieure de foi, d’espérance et d’amour. On pourrait dire de la même manière que la porte du  château extérieur de Chiara, c’est le pacte d’unité dans la réciprocité de l’amour fraternel.

            Le Château Intérieur de Thérèse s’ouvre sur le château extérieur, dans la dynamique de ses sept demeures. Le premier chapitre contemple le Seigneur dans la demeure de l’âme (Premières Demeures, ch I), tandis que le dernier chapitre (Septièmes Demeures, ch. IV) contemple le même Seigneur dans la maison de Béthanie, entre les deux soeurs Marthe et Marie, qui traditionnellement, personnifient les deux dimensions de la charité, active et contemplative. Toutefois, le principal château extérieur de Thérèse s’identifie avec la Sainte Famille de Nazareth, modèle parfait de toute communauté, de toute famille, de toute l’Eglise, là où "Jésus au milieu" est contemplé entre Marie et Joseph, les deux personnes les plus proches de lui dans la foi, l’espérance et l’amour. Concrètement, la fondamentale construction de ce château extérieur a été la fondation du premier monastère du Carmel Réformé à Avila. Dans son Autobiographie, Thérèse raconte comment c’est Jésus lui-même qui lui a dit de consacrer cette nouvelle maison à Saint Joseph, en lui révélant que Lui, Jésus serait au centre et que Marie et Joseph en garderaient les deux portes (cf Vie, 32/11). Pour que Jésus soit "au milieu", Marie seule ne suffit pas ; Saint Joseph est également nécessaire, et Thérèse l’a merveilleusement compris. Marie et Joseph sont les deux premiers qui sont réunis au nom de Jésus dans le plus parfait pacte d’amour fraternel qui est leur mariage virginal, et ils sont les premiers à faire l’expérience de "Jésus au milieu" ! Mais bien sûr, en disant cela, je relis Thérèse d’Avila avec les yeux, avec les "lunettes" de Chiara[6].  Si Chiara a défini le Mouvement des Focolari comme l’Oeuvre de Marie, on pourrait sans doute définir le Carmel thérésien (ce Carmel qui a toujours été marial) comme l’Oeuvre de Joseph, et ce serait sans doute une des meilleures manières de dire la complémentarité évangélique entre nos deux familles.             

            Mère et fondatrice du Carmel réformé,  Thérèse d’Avila est inséparable de ses deux plus grands disciples qui sont saint Jean de la Croix et sainte Thérèse de Lisieux, également Docteurs de l’Eglise Universelle. Leurs enseignements sur la vie intérieure sont inséparables et complémentaires, comme l’avait si bien compris un saint Père Carme du XXème siècle, le Vénérable Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (1894-1967). Son grand livre Je veux voir Dieu est sans doute la meilleure synthèse des trois Docteurs du Carmel, intégrant les principaux apports de Jean de la Croix et de Thérèse de Lisieux dans le grand cadre du château intérieur de Thérèse d’Avila, avec toujours la même ouverture sur le château extérieur de l’Eglise et de sa mission pour le salut de tous les hommes. Rappelons que la Carmélite Thérèse de Lisieux est aussi la Patronne de toutes les Missions. Et c’est sans doute elle qui nous donne maintenant la meilleure clef pour ouvrir la porte de communication entre les deux châteaux, en reprenant les mots de l’Ecriture Sainte, les paroles que l’Epouse adresse à son Epoux dans le Cantique des Cantiques : "Attire-moi, nous courrons"[7].  On ne saurait mieux exprimer le rapport entre l’expérience personnelle du "pour moi" et l’expérience communautaire du "pour nous". Et c’est dans cette lumière que nous allons considérer maintenant l’autre grand texte de Chiara, où une très haute expérience mystique personnelle devient immédiatement expérience mystique "collective", communautaire.

II/ Le récit du "Paradis de 1949" aux jeunes du Mouvement (20 décembre 2003)

            Le 20 décembre 2003 à Castel Gandolfo, Chiara a parlé pendant environ une heure à un groupe de 2500 jeunes du Mouvement ("Gen"), en leur racontant la grande expérience mystique communautaire de l’été 1949[8].  Elle lisait quelques passages d’un texte écrit bien des années auparavant par elle-même (cité ici en italique), mais surtout, elle parlait spontanément. Il faut voir la vidéo pour percevoir l’extraordinaire communication entre Chiara et ces jeunes[9]. En conclusion, elle leur dira : "Chers Gen, je viens de passer une petite heure avec vous et j’en suis bien contente. J’ai eu l’impression plusieurs fois qu’il y avait vraiment Jésus au milieu de nous". De fait l’extraordinaire qualité spirituelle de cet enseignement de Chiara ne vient pas seulement d’elle-même, mais bien de "Jésus au milieu" de cette assemblée. Cette parole vivante, fidèlement transcrite, est un très grand texte mystique, un texte vivant, puissant, jaillissant, que je n’hésiterai pas à comparer avec les Oraisons de sainte Catherine de Sienne, et aussi avec le second Manuscrit Autobiographique de Thérèse de Lisieux, ce bref Manuscrit B qui est son chef-d’oeuvre. En parlant à Jésus, dans une longue prière, la sainte raconte sa grande découverte du Coeur de l’Eglise à partir de l’Ecriture Sainte (1 Cor 12 et 13)[10].

            Ici, dans les dernières années de sa vie, Chiara raconte une expérience vécue plus de 50 ans auparavant, et elle le fait de façon merveilleusement simple, claire et synthétique. Ayant déjà eu la permission de communiquer ce texte à mes étudiants en théologie, j’avais beaucoup insisté pour que ce texte soit publié par le Mouvement, ce qui a été fait en 2010, en italien et dans plusieurs traductions[11].  Parmi tous les texte de Chiara que j’ai pu lire, je le considère comme le plus beau.

            Nous allons suivre ce récit de Chiara, récit d’une très haute expérience mystique du château extérieur, d’une extraordinaire originalité, comme expérience personnelle et communautaire, une expérience qui s’étend sur plusieurs jours, soutenue par la communion quotidienne et la Parole de Dieu, vécue dans la prière silencieuse et le partage fraternel. Comme toutes les plus hautes expériences mystiques, c’est une expérience christocentrique et trinitaire, mariale e ecclésiale, eucharistique et biblique, qui fait resplendir de façon expérimentale les plus grandes vérités de la foi réunies dans le Credo[12].

- Résumé de la période précédente (1943-1949)

            Toutefois, avant de présenter cette nouvelle étape, Chiara résume ce qu’elle a vécu avec ses premières compagnes au cours des précédentes années :

Avant cela – vous le savez, je pense – il y a eu toute une préparation de la part de l’Esprit Saint dans nos âmes. Nous avions déjà commencé à vivre les points de la spiritualité  : il était clair pour nous de vivre Dieu Amour  ; de répondre à ce Dieu Amour en faisant sa volonté  ; la volonté de Dieu qui s’est manifestée ensuite dans l’amour du prochain et le commandement nouveau  ; nous avions déjà compris Jésus abandonné et Jésus au milieu. Nous vivions déjà tout cela. Nous en étions arrivés à approfondir, à comprendre ce qu’est la Parole de Dieu que nous vivions avec une profonde intensité, chaque minute, tout le temps  ; et nous ne le faisions pas à la légère. Par exemple  : «  Aime ton prochain comme toi-même  !  » Toute la journée  : le prochain, le prochain, le prochain, le prochain  ; toute la journée avec une intensité qui, ensuite, ne s’est plus répétée, tant nous avions de choses à faire, les œuvres. Auparavant, il n’y avait pas d’œuvres, il n’y avait pas le Mouvement, les branches n’existaient pas, il n’y avait rien. Il n’y avait qu’à vivre, et nous vivions, nous vivionsla Parole,la Parolede Dieu, et on en changeait tous les mois. Cette Parole de Dieu nous transformait. Auparavant, nous pensions aimer seulement le frère, les frères de la famille, les amis  ; mais avecla Parole, il fallait aimer chaque prochain. Il en résultait que notre âme était révolutionnée, notre vie devenait Évangile (...), parce que nous nous imprégnions de l’Évangile qui se transformait en vie (...). Et, puisquela Paroleavait été prononcée par Dieu, qui est Amour, nous avons découvert comme jamais que chaque parole contient l’amour. Comment l’avons-nous découvert  ? D’une manière un peu extraordinaire, parce que des grâces étaient données au Mouvement tout entier  : chaque fois que nous vivions une Parole, en entrant dans notre âme, celle-ci se transformait en feu, s’enflammait  ; et nous, nous ne comprenions pas. Une autre Parole entrait… Et même si les Paroles de Dieu sont différentes  : «  Aime ton prochain…  », «  Heureux les cœurs purs…  », chaque fois que nous la vivions, en nous nous portions un feu, un feu spirituel naturellement, des flammes (...).

            De fait, tous ces grands contenus spirituels se trouvent dans des écrits antérieurs de Chiara, spécialement dans les Lettres des premiers temps (1943-1949), en particulier le fondamental binôme Jésus abandonné et l’Unité[13], avec l’expérience de Jésus au milieu et la nourriture quotidienne de l’Eucharistie et de la Parole de Dieu. Dès le départ, la Parole par excellence que Chiara a reçu est le cri d’abandon de Jésus sur la Croix, et c’est cette même parole qui va être encore la grande source évangélique et le point d’appui de la nouvelle expérience :

Nous avons fait cette expérience – nous étions naturellement toutes à contempler ces belles réalités que Dieu nous faisaient vivre quand, à un moment donné, la dernière Parole que nous allions vivre a été  : «  Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné  ?  » (Mt 27, 46), le cri de Jésus. Qu’est-ce que cela voulait dire  ? Jésus en croix avait tout perdu, sa vie s’en allait  ; il avait perdu ses disciples, perdu sa mère – en la remettant à Jean – tout… Il lui restait encore son Père avec lequel il est un  ; mais il a l’impression que son Père aussi prend de la distance  ; il perdait donc également le Père. Que lui reste-t-il, à Jésus  ? Rien, le néant  ! Aussi, en vivant cette Parole, nous nous disions  : comment faire pour vivre cette phrase  : «  Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné  ?  » Une seule réponse  : n’être rien. Et comment faire, de mon côté, pour n’être rien  ? Ne pas vivre pour moi, mais pour les autres, pour les autres  : pour Dieu à travers sa volonté  ; je dois prier, alors je prie  : pour les autres, mon frère et tous ceux que je rencontre  ; et vivre pour les autres. C’est cela que nous avons commencé à vivre.  Mais, alors que nous vivions cette parole, nous avons fait une nouvelle expérience, très forte. Nous sommes allés en montagne et, là-haut, voilà qu’un autre phénomène s’ajoute  : non seulement tout n’était que feu, lumière au-dedans de nous, mais aussi en dehors de nous. J’avais l’impression de percevoir Dieu, Dieu en dehors de nous.

- Manifestation de l’Unité de Dieu dans la Création

            Dans les Lettres des premiers temps, on est déjà frappé par cette forte mystique du feu, mais à présent, elle va s’intensifier, et d’abord en relation avec le mystère de la Création. Le récit de Chiara est commandé par une logique théologique d’autant plus impressionnante qu’elle est spontanée. Ce qui vient d’abord, c’est l’expérience de l’Unité de Dieu qui se reflète dans l’unité de la création, dans ce "livre de la nature" où peuvent lire tous les hommes. Chiara met cette première expérience en relation avec l’ouverture aux autres religions qui sera ensuite une des grandes composantes du Mouvement :

Voici la description exacte que je fais de ces journées-là. C’est d’ailleurs pour cela que le soleil embrassait tout, que le soleil pénétrait tout, une lumière pénétrant tout, un amour pénétrant tout. Voici ce que j’écris  : «  Si les sapins apparaissaient dorés par le soleil, si les ruisseaux formaient de petites cascades scintillantes, si les marguerites, toutes les fleurs et le ciel étaient en fête durant l’été, la vision d’un soleil transparaissant à travers tout le créé était plus forte encore. Je voyais, je le crois, d’une certaine façon, Dieu qui soutient et dirige toutes choses. Et Dieu sous toutes choses faisait de telle sorte que… elles n’étaient pas… comme nous les voyons d’habitude  ; elles étaient toutes reliées entre elles par l’amour, toutes – pour ainsi dire – en amour l’une pour l’autre. Donc si la rivière aboutissait au lac, ce n’était pas par hasard mais par amour. Et si le sapin se dressait à côté d’un autre, c’était par amour. Et la vision de Dieu sous toutes choses, de Dieu qui fait l’unité de la création, était plus forte que les choses elles-mêmes  ; l’unité de tout était plus forte que la distinction entre les choses…  » C’est une vision que nous avons eue avant d’entrer au Paradis. Naturellement, nous n’avons pas tout de suite compris la raison pour laquelle le Seigneur nous faisait voir ces réalités. Il était dans les plans de Dieu que le Mouvement se développe et que nous entrions en contact avec beaucoup de religions. Dans l’Ancien Testament, Dieu a aimé le peuple hébreu – c’était le peuple élu – il l’a gardé, l’a sauvé, l’a préservé, l’a aimé. Par la suite, le peuple lui a été infidèle, puis il lui a pardonné, etc. Et les autres nations  ? Notre sentiment est que Dieu n’en a pas fait des nations élues, choisies  ; toutefois, il ne les a pas oubliées, tout simplement parce qu’il a semé cela et là dans les autres religions des semences, «  des germes de vérité  ». C’est pour cela que chez un musulman on peut trouver des vérités chrétiennes  ; il suffit d’être attentif. En rencontrant un bouddhiste, on voit en lui quelques vérités chrétiennes. Bouddha a expérimenté une sorte de vision des choses comme nous les avons vues nous aussi[14].

            Chiara retrouve par expérience un des grands thèmes des premiers Pères de l’Eglise concernant les "semences du Verbe" répandues dans toute l’humanité  (cf St Justin).

- Le Serviteur de Dieu Igino Giordani, en communion avec sainte Catherine de Sienne

            Après cette expérience lumineuse de la présence de Dieu dans la création partagée avec ses premières compagnes, Chiara introduit la nouvelle étape de son récit avec l’arrivée de Igino Giordani, personnalité éminente du catholicisme italien, lui aussi en voie de béatification. Avec lui entre en scène sainte Catherine de Sienne, l’autre femme Docteur de l’Eglise, très chère à Chiara :

Igino Giordani, Foco comme nous l’appelions,arrive en montagne. Il aimait beaucoup Catherine de Sienne. Je lis, mais vous savez déjà presque tout. «  Nous vivions ces expériences – de feu en nous et de lumière, feu et lumière, toutes choses reliées par l’amour – lorsque Foco nous a rejoint en montagne. Foco, amoureux de sainte Catherine de Sienne, avait toujours cherché dans sa vie une vierge qu’il pourrait suivre.  » Catherine de Sienne était suivie de ses disciples, les «  caterinati  », des gens du peuple, mais aussi des chefs de gouvernement, cardinaux, évêques, bref des personnes de haut niveau. Tous suivaient la spiritualité de Catherine à cette époque. Foco, amoureux de sainte Catherine de Sienne – sur laquelle il avait écrit un livre – avait toujours cherché dans sa vie une vierge qu’il pourrait suivre. Et voilà qu’il avait l’impression de l’avoir trouvée parmi nous – en moi, disons-le. Aussi, un jour, il me propose la chose suivante, comme le faisaient les disciples de Catherine  : faire vœu d’obéissance envers moi, de m’obéir. Il espérait, en m’obéissant, accomplir la volonté de Dieu. Il pensait que, en agissant ainsi, il obéirait à Dieu. Il ajouta que, de cette manière, nous pourrions avancer dans la sainteté comme François de Sales et Jeanne de Chantal  », laquelle était disciple de François de Sales. Je l’écoutais, mais «  je n’ai pas compris à ce moment-là la raison de cette obéissance – nous ne pensions absolument pas à des vœux – et de cette unité à deux.  » Ce que je voulais, c’était vivre pour « que tous soient un  !  » (cf. Jn 17, 21) Tous un, et non pas deux seulement  ! Par conséquent c’était quelque chose que je ne ressentais pas  : l’obéissance, cette unité à deux. J’avais pourtant l’impression que Foco était sous l’effet d’une grâce qui le poussait à devenir plus parfait, en faisant ce vœu… Je lui ai dit alors  : «  Écoute, il se peut que tu sois poussé par une grâce de Dieu, il faut donc en tenir compte. Cependant il vaut mieux que nous ne fassions pas de projets, nous  ; laissons faire Dieu. Pourquoi, demain, ne dirions-nous pas à Jésus eucharistie qui viendra dans mon cœur et dans le tien, de réaliser, lui, notre unité, comme lui la voit, et non comme nous la pensons, nous  ?  »

            Igino Giordani, qui sera le premier focolarino marié, perçoit Chiara comme une nouvelle Catherine de Sienne, une vierge consacrée vivant dans le monde et guidant une nouvelle famille spirituelle avec une forte autorité charismatique. Cet aspect est également attesté dans les Lettres des premiers temps. On admire la sagesse de Chiara qui, au lieu d’un voeu d’obéissance,  propose ce pacte d’unité à deux, mais dans la grande perspective de l’unité entre tous, en référence au grand texte de Jean 17 déjà fondamental dans sa vie. Ce pacte d’unité est vraiment la porte de ce Ciel qui va s’ouvrir pour Chiara,  pour Giordani et les focolarines.

- Dans le Sein du Père

            Ce qui a été décidé se réalise le jour suivant dans la communion eucharistique toujours vécue en Jésus abandonné. Et c’est pour Chiara une toute nouvelle expérience du premier article du Credo : "Je crois en un seul Dieu le Père Tout-Puissant", une expérience qu’elle partage tout de suite avec Giordani et avec ses compagnes :

Le lendemain, nous sommes entrés à l’église de Fiera di Primiero et, durant la messe, nous avons communié. Je dis alors à Foco  : «  Dis ceci  : ‘Sur mon rien, sur mon néant – parce que nous vivions Jésus abandonné – fais toi-même, Jésus eucharistie, un pacte d’unité avec Jésus eucharistie qui est en Foco, Foco qui lui aussi n’est rien. Et nous verrons ce qui en sortira.  » Et c’est ce que nous avons fait. Nous sommes sortis de l’église, puis Foco est allé rencontrer des religieux qui voulaient une conférence de sa part  ; Foco était une personnalité et donnait aussi des conférences aux religieux.

            J’étais donc au dehors, mais je me sens attirée chez Jésus, poussée, vraiment… à revenir chez Jésus  ; je vais devant le tabernacle. Et là – c’est un moment spécial – je m’apprête à dire  : «  Jésus  », mais je n’y arrive pas  ; ce pacte que Jésus eucharistie avait fait m’avait transformée en lui. En effet, Gen, cela peut se comprendre parfaitement parce que là, il n’y a rien d’autre que Jésus eucharistie… il ne reste que Jésus eucharistie  ! Autrement dit, j’étais, j’avais Jésus en moi, je n’étais rien d’autre qu’un simple calice vide qui ne contient que Jésus. Donc, je m’apprête à dire  : «  Jésus  », mais je ne peux pas le dire parce que je le suis moi-même, en quelque sorte. À ce moment-là, le mot qui me vient sur les lèvres est  : «  Père  ». J’ai compris plus tard – tout de suite après – que c’était l’Esprit Saint qui me mettait sur les lèvres le mot «  Père  », parce que Jésus, dansla Trinité, appelle Père son Père, il l’appelle Père. Et là, je me suis trouvée, comme vous le savez, dans un gouffre immense – je ne peux pas en dire les limites, je ne sais pas si l’univers est aussi grand – immense, tout d’or et de flammes  ; or en haut, flammes en haut, or en bas, or à droite, or à gauche. J’étais entré dans le sein du Père – ce qui veut dire dans le cœur du Père – dansla Trinité. Hors de cet immense soleil, restait la création, tout ce qui avait été créé. Et moi, j’étais dans l’Incréé, en ce qui n’a jamais été créé, parce que Dieu existe depuis toujours.

            Ensuite, je ressors de l’église  ; Foco avait terminé sa conférence. Il vient au-devant de moi. Je lui dis  : «  Foco, viens, asseyions-nous  !  » Il y avait un petit banc rouge, qui n’existe plus, au bord d’un ruisseau de montagne. Et là, je lui dis  : «  Foco, sais-tu où nous sommes  ?  » Il m’écoutait, je lui raconte tout, tel que c’était. Puis nous prenons le chemin de la maison. Les focolarines étaient là  : Natalia, Graziella… toutes les focolarines, que j’aimais tant, mes premières compagnes  ; je ne pouvais pas ne pas leur raconter  ; alors je le leur raconte à elles aussi. Ce n’était donc pas une unité à deux, mais déjà entre beaucoup. Je leur dis  : «  Écoutez ce qui vient d’arriver… Demain, allons toutes ensemble à la messe, avec Foco aussi et, durant la messe, nous demanderons à Jésus eucharistie qui viendra en nous de faire un pacte d’unité lui-même entre nous.  » Nous y sommes allées et elles l’ont fait  ; et le lendemain encore. En rentrant à la maison, je leur dis  : «  Savez-vous ce que j’ai vu  ?  » – parce que c’est lui qui me montrait tout cela, une grâce pour tout le Mouvement qui devait venir  : j’ai vu dans le sein du Père un petit groupe de personnes  : «  C’était nous.  » Et j’ai voulu donner un nom à cette unité  : l’Ame.  » Nous étions donc vraiment un pour en parler ainsi  : l’Ame (...).

            On reste émerveillé devant la beauté et l’originalité de ce récit. Cette très haute expérience mystique de la Paternité de Dieu, expérience personnelle de Chiara, est aussitôt partagée avec Giordani et les focolarines : non pas seulement "unité à deux, mais déjà entre beaucoup", si justement appelée l’Ame. Les trois Docteurs du Carmel parlent continuellement de l’âme, et très peu du corps (à la différence de Catherine de Sienne qui parle continuellement du Corps et du Sang). C’est l’expression clef de leur anthropologie, que ce soit l’âme demeure de Thérèse d’Avila, l’âme épouse de Jean de la Croix ou l’histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux. Pour eux tous, il s’agit de l’âme personnelle, mais qui s’élargit à toutes les plus grandes dimensions de l’Eglise et de l’Histoire du Salut.  Dans ce récit de Chiara, c’est la communauté qui devient réellement "une seule âme" (cf Act 4, 32).

- Jésus Fils Unique du Père et Verbe Incarné

            Suivant la dynamique du Credo l’expérience du jour suivant est celle de Jésus comme Fils Unique du Père et Verbe de Dieu, expérience toujours fondée dans la communion eucharistique faite ensemble, expérience mystique de Chiara qui devient expérience communautaire :

Le lendemain, nous sommes allées à la messe. Nous faisions de la manière suivante  : le matin, la communion tous ensemble, où nous demandions à Jésus de nous dire, lui – nous faisions toujours le pacte – de nous dire, lui, ce qui venait de se passer avec cette nouvelle communion. Et le soir, à 18 heures, nous allions ensemble, à l’église, assises sur deux bancs. Il y avait là une très belle petite vierge (Madonnina), sculptée dans la pierre, et nous nous asseyions sous la statue pour méditer. Cependant je disais aux focolarines  : «  Méditons d’une manière un peu différente  : restez en silence, ne parlez pas  ; soyez détachées de tout, de façon que, si Dieu veut nous parler, il puisse le faire.  »

            Ce soir-là, quand nous sommes entrées, j’ai compris une chose. J’ai compris le Fils de Dieu, le Verbe, le Fils de Dieu  ; j’ai vu, j’ai entendu de tous les bords du Ciel infini une parole prononcée sur une infinité de tons. Et cette parole se concentrait progressivement au centre du Paradis  : c’était le Fils, le Verbe de Dieu, celui qui devait s’incarner pour devenir Jésus, le Verbe de Dieu. J’ai immédiatement compris qui était le Verbe, j’ai compris qu’il s’unissait à notre petit groupe parce que nous formions une seule chose avec lui. Oui, c’était le Verbe. Mais ensuite, je ne savais comment faire pour l’expliquer aux focolarines. Alors, nous sommes montées à un col. Il y avait les montagnes. C’était le soir et le soleil se couchait  ; une fois le soleil disparu à l’horizon, on voyait encore ses rayons monter dans le ciel. Je dis aux focolarines  : « Voilà, c’est le Verbe de Dieu, il est la beauté du Père, il est la splendeur du Père. Il est entièrement un avec le Père, parce que Dieu est un, et pourtant il est aussi distinct. Le Père est comme le soleil, le Fils en est les rayons, la beauté, la splendeur. J’ai réussi de la sorte à faire comprendre aux focolarines ce qu’était le Verbe de Dieu.

- Né de la Vierge Marie,  Mère de Dieu

            Cette expérience du Fils de Dieu était vécue près de la petite Marie (la Madonnina), et l’étape du lendemain est l’expérience de Marie comme Mère de Dieu. Ici encore on suit le déroulement du Credo, où Marie est nommée au coeur de l’article sur Jésus le Fils Incarné, avant l’article sur l’Esprit-Saint :

Passons au troisième tableau. De la même façon, nous vivions toujoursla Parole, pleines de gratitude envers Dieu, profondément reconnaissantes, naturellement, et nous vivions comme je vous l’ai dit précédemment. Encore une nouvelle communion. Nous nous sommes dit  : nous venons de voir le Père, nous avons vu le Verbe, nous allons certainement voir l’Esprit Saint. Et je le disais un peu par provocation, car ce qui se passait n’avait rien à voir avec un raisonnement humain, avec ce que je prévoyais  : c’est Dieu qui agissait.

            Nous entrons donc à l’église et, au cours de notre méditation, Jésus, au Paradis avec nous, nous présente non pas l’Esprit Saint, mais sa mère. Nous avons alors compris que l’Esprit Saint laissait la place à Marie dans cette vision des choses. Pourquoi  ? Parce qu’il est amour et l’amour laisse la place aux autres, il fait passer les autres devant. Je ne vous dis pas comment nous avons vu Marie, parce qu’il faudrait des heures d’explications  : elle est belle, très belle  ! Elle est grande  ! Elle s’est faite néant – «  Voici la servante du Seigneur  » veut dire  : Voici l’esclave du Seigneur – et Dieu l’a faite immense  ! C’est vrai, quand Jésus dit au Père  : «  Aime-les – les miens – comme tu m’as aimé   !  », en Marie on le voit, je l’ai vue, elle est immensément grande  ! Elle est aussi élevée que le ciel, mais elle a les pieds sur la terre parce qu’elle est créature. Elle est très belle  ! Surtout, je l’ai vue toute emplie uniquement de Paroles de Dieu, revêtue… – revêtue veut dire  : toute entière – de la Parole, Parole de Dieu. Et cela se comprend parce que, si vous chantez le Magnificat  : «  Mon âme exalte le Seigneur, et mon Esprit exulte en Dieu mon Sauveur  », ce sont toutes des phrases de l’Écriture. Marie, pour se dire, pour parler d’elle-même et aussi des autres, et même de Dieu, a recueilli de l’Écriture, de l’Ancien Testament, ces phrases et elle en a fait le cantique du Magnificat. Ce que nous avons vu est donc vrai  : elle est toute Parole de Dieu.

            Pourtant la grandeur de Marie, nous l’avons vue surtout un peu plus tard lorsqu’elle s’est manifestée comme mère de Dieu  ! Mais Dieu est Dieu, il l’a toujours été… Comment se peut-il qu’elle soit la mère de Dieu  ? Il y a eu un concile [Ephèse]au cours duquel les évêques se sont réunis il y a bien des siècles, et ils ont reconnu qu’elle est la mère de Dieu (...) On peut vraiment l’appeler la mère de Dieu, parce qu’elle est la mère de Jésus tout entier, la mère du Fils de Dieu, la mère de Dieu, parce que le Verbe est Dieu. C’est ainsi que nous avons vu Marie…

            Marie était déjà bien présente dans les Lettres des premiers temps, comme Mère de l’Unité, mais de façon un peu cachée. Cette toute nouvelle manifestation de la Mère de Dieu, si intimement liée à la Parole de Dieu sera fondamentale pour le Mouvement qui s’appellera l’Oeuvre de Marie.

- L’expérience de l’Esprit-Saint

            Vient ensuite, dans le récit de Chiara, la nouvelle expérience de l’Esprit-Saint. Ici, comme elle l’avait fait au début, Chiara commence par rappeler la forte expérience des années précédentes : 

Et nous en arrivons – c’est assez extraordinaire – à la révélation de l’Esprit Saint. Mais avant de vous parler de ce qu’est l’Esprit Saint, je voudrais vous dire comment nous sommes entrées dans l’intimité de l’Esprit Saint, comment nous avons vécu avec l’Esprit Saint les années précédentes. La première chose que nous avons comprise de l’Esprit Saint est celle-ci  : quand nous nous disions, poussées par le charisme, sans savoir ce que nous disions  : «  Écoute la voix  !  » «  Comment dois-je me comporter…  ?  ». «  Écoute la voix  !  », c’était comme dire  : c’est ta conscience qui te le dit. «  En plus de la conscience, rappelle-toi que nous, par le baptême, nous avons l’Esprit Saint, écoute sa voix  !  » Pour savoir comment agir, nous écoutions toujours cette voix. Et quand nous mettions Jésus au milieu de nous, la voix devenait deux fois, trois fois plus forte, nous ressentions plus clairement quelle était la volonté de Dieu, afin de marcher selon la volonté de Dieu. Et maintenant, que fait l’Esprit Saint en nous  ? Justement, il nous fait choisir la volonté de Dieu, il nous fait faire un changement complet, parce qu’il nous fait préférer Dieu à tout, il nous fait mettre Dieu à la première place  ; c’est ce qui arrive encore maintenant dans l’Idéal, nous mettons Dieu à la première place. Ensuite, il nous fait vivre tout le christianisme en vivant l’Évangile  ; c’est donc bien une révolution. Il suffit que vous regardiez, vous-mêmes, la révolution que vous apportez déjà, vous-mêmes avez déjà été révolutionnées – moi y compris – et nous révolutionnons maintenant le monde entier. De plus, c’est l’Esprit Saint qui fait de nous un seul cœur parce qu’il nous lie, il est l’amour  ; c’est lui qui, déjà au début, nous poussait à communier, à aller à la messe, à l’eucharistie. Ce n’est pas nous qui avions l’idée d’aller communier tous les jours  : c’est lui qui nous le disait, parce qu’il savait, lui, ce qu’opère l’eucharistie. Et il changeait notre cœur, il nous portait toujours à vivre au maximum. Il nous a mis sur la route de la sainteté avec le «  saint voyage   », comme nous faisons. Nous avions déjà l’intuition, sans que nous en ayons encore eu la révélation claire du Paradis, que l’atmosphère qui se crée entre nous – peut-être également ici –, cette atmosphère d’attention un peu spéciale, qui n’est pas toujours présente, est l’Esprit Saint, l’Esprit Saint qui plane sur nous, lui, l’âme de l’Église, l’âme du Corps mystique du Christ.

            On admire encore l’équilibre et la sûreté théologique de ce texte. C’est toujours de façon christocentrique que Chiara parle de l’Esprit, comme elle parlait du Père. L’Esprit-Saint conduit inséparablement à l’écoute de la Parole et à la Communion quotidienne[15], il pousse vers la sainteté. C’est lui qui donne à "l’Ame", son unité dans l’Amour et qui rend plus forte la voix de "Jésus au milieu", parce qu’il est vraiment "l’âme de l’Eglise, l’âme du Corps Mystique du Christ".

            L’eucharistie est toujours à la source de la nouvelle expérience mystique collective de l’Esprit-Saint que Chiara décrit de façon splendide avec les symboles bibliques du souffle et de la colombe :

«  Je suis entrée à l’église pour méditer comme d’habitude avec les personnes qui, avec moi, composent l’Âme et, en regardant le tabernacle, je m’attendais… à ce que Dieu envoie sa lumière  », me fasse comprendre quelque chose. «  J’avais l’impression que dans le tabernacle, Jésus respirait  et que cette respiration, presque un souffle, venait vers moi. J’ai levé la tête pour le recevoir de face.  » Plus tard je suis retournée dans l’église pour voir si les fenêtres étaient ouvertes  ; or elles ne pouvaient s’ouvrir, c’était des vitraux fermés. Il s’agissait donc de quelque chose de surnaturel. «  J’ai levé la tête pour le recevoir de face… Et ce souffle – qui venait face à moi – en s’élevant au-dessus de moi, entre moi et Marie… une statue de Marie à droite du grand autel, ce souffle se concrétisa – aux yeux de mon âme – en une colombe d’une taille d’environ vingt centimètres.  » Et elle tournoya plusieurs fois au-dessus de nous. Je me rappelle que ne savais pas alors que l’Église, lorsqu’elle parle de l’Esprit Saint, le représente sous une colombe. Et là, je l’ai vu ainsi. «  Elle tournoya plusieurs fois.  » Pleine de confusion, j’ai compris que c’était l’Esprit Saint et «  que l’Esprit Saint est la respiration de Jésus  ». En effet, l’Esprit Saint est l’esprit de Jésus, la respiration de Jésus. Il est sa «  chaleur, sa vie, et constitue l’atmosphère du Ciel.  » J’y étais, bien sûr, je voyais qu’il était l’atmosphère du Ciel.  L’Esprit Saint était ce quelque chose dont «  tout le Ciel est imprégné  »  : un paradis. J’ai compris que ce souffle se transformait en une colombe, comme une «  douce brise  », comme une «  brise légère  ». Plus tard, j’ai trouvé dans l’Écriture une page qui dit  : «  Vient-il comme un vent fort et violent  ? Non. Comme un tremblement de terre  ? Non. Il vient comme le feu  ? Non. Il vient comme une brise légère.  » C’est comme cela qu’il s’est manifesté à nous (...).

            Le Seigneur m’a fait comprendre que l’Esprit Saint est l’un des Trois, mais qu’il est Dieu. Et j’ai compris, d’une façon qui ne s’oublie plus pour toute la vie, que les trois Personnes de la Trinité étaient Dieu, que Dieu est un, mais que les trois Personnes sont Dieu, chacune d’elles, et que l’Esprit Saint est Dieu. Avec notre Idéal, nous pouvons l’expliquer, nous, parce que notre Idéal n’est rien d’autre que la vie de la Trinité venue sur terre.

            Quand, au focolare, par exemple, ou dans les unités Gen , nous mettons Jésus au milieu de nous, cela ne veut pas dire qu’il est là, au milieu, assis sur une chaise au milieu des autres. Au milieu, cela veut dire, comme le disent les Pères de l’Église, qu’il nous embrasse, qu’il embrasse tout le monde. Et, si je me détache, pour aller à la cuisine, au travail, à l’école, j’emporte avec moi ce Jésus au milieu, j’ai en moi ce Jésus au milieu. Vous voyez, chacun est le même Jésus un, de la même façon que les nombreux Jésus qui étaient un. Cela nous fait comprendre un peu ce qu’est la Trinité.

            Nous étions donc l’Âme et nous avions transpercé le Ciel – trouvé le Père –… découvert le Père,… le Fils, connu sa Mère à lui, et l’Esprit Saint  ».

            C’est dans la "brise légère" de l’Esprit-Saint que déjà le prophète Elie avait vécu sa plus profonde rencontre avec Dieu (cf I R 19, 12). Depuis le moment où Jésus Ressuscité a soufflé sur ses Apôtres en leur disant : "Recevez l’Esprit-Saint" (cf Jn 20,22), l’Eglise ne cesse d’en faire l’expérience comme de la "respiration de Jésus", et spécialement dans la prière auprès du Tabernacle. Cette expérience de l’Esprit, qui s’est manifesté sous la forme d’une colombe au baptême de Jésus, Chiara la vit toujours auprès de Marie. Aussi son récit s’achève avec la Consécration de "l’Ame" à Marie.

- La Consécration à Marie, en communion avec Jean-Paul II, Louis-Marie de Montfort et Thérèse de Lisieux

            Cette finale mariale est comme le couronnement du récit de Chiara. Ici elle cite Jean-Paul II, Louis-Marie Grignion de Montfort et Thérèse de Lisieux. Chiara était très liée à Jean-Paul II, ils avaient exactement le même âge, et l’un et l’autre s’étaient donnés totalement à Jésus pendant les années terribles de la Seconde Guerre Mondiale. Pour Karol Wojtyła, c’était à travers le Totus Tuus de saint Louis-Marie de Montfort qui deviendra le fil conducteur de toute sa vie, comme séminariste, prêtre, évêque et pape [16]. Il s’agit toujours de l’Evangile pleinement vécu par les saints dans l’Eglise, qui comme saint Jean, reçoit de Jésus le grand don de Marie en se donnant entièrement à Elle. Enfin, Chiara rappelle la simple et profonde expérience de l’amour maternel de Marie vécue par Thérèse de Lisieux :

Passons maintenant à un autre Ciel  : il concerne le rapport que l’Esprit Saint voulait que nous ayons avec Marie, son épouse, car elle est l’épouse de l’Esprit Saint. Notre pape, Jean-Paul II, en parlant de Marie, dit que la dévotion envers Marie, l’amour pour Marie est né au pied de la croix lorsque Jésus a dit  : «  Fils, voici ta mère  !  ». Depuis lors, dit le pape, la vénération pour Marie, la dévotion envers elle a toujours grandi et s’est développée de bien des manières. Cependant Grignion de Montfort, un saint qui a eu beaucoup à voir avec la Vierge, avec la sagesse, de façon stupéfiante, explique que la manière la plus parfaite, la meilleure manière de vénérer Marie est de se donner à elle  : «  Maman, prends-moi, prends-moi chez toi, je suis à toi.  » Grignion de Montfort se demande alors  : que se passe-t-il quand on agit ainsi  ? On devient une autre Marie. Et c’est ce que nous avons éprouvé au Paradis.

            Le tableau qui a suivi celui de l’Esprit Saint nous a fait comprendre, de la part de Jésus et de l’Esprit Saint, ce que nous étions devenus, nous, en aimant Marie, en l’ayant découverte et aimée. Nous étions devenus une autre Marie, une petite Marie.    Le texte dit  : «  Un jour, l’une de nous nous a proposé – c’était moi – de nous consacrer à Marie, autrement dit de consacrer l’Âme à Marie. C’était le désir de tous et, à la communion du matin, chacun a demandé à Jésus… qu’il consacre, lui, cette Âme à Marie, comme il l’entendait et qu’il nous révèle ensuite – s’il le voulait – ce qui était arrivé… À peine avions-nous dit cela, que l’Âme a compris qu’elle était devenue Marie. L’exultation en nous – la joie – était immense. L’Immaculée revivait sur terre – d’une certaine manière – en nous. Alors – nous ne l’oublierons jamais pour toute l’éternité – l’Âme a ressenti qu’elle est fille de Marie  » et que Marie est «  la Maman  ».

            C’est quelque chose de si fort que notre maman de la terre nous semblait une femme comme tant d’autres, alors que Marie était entrée en nous comme notre Mère. Et elle nous a fait comprendre ce que devait être notre vie. Il nous fallait voir sans cesse en elle «  ce que nous devions être  ». Autrement dit,nous devons devenir comme elle. Puis nous comme pouvant être Marie.  Nous pouvons être Marie et arriver ainsi au Paradis.

            L’année dernière,  avec le congrès marial que nous avons vécu, nous avons compris que ces choses se réalisaient. De fait, nous ne sommes pas seulement une dévotion à Marie, nous sommes des grains vivants, d’autres Marie. Et dans la vie, nous devons toujours avoir cet amour pour la Sainte Vierge (la Madonna), notre maman, que nous avons découverte comme maman. Je me souviens que la  sainte petite Thérèse de l’Enfant Jésus disait  : «  À un moment donné, j’ai compris que Marie était la maman, ma maman, qu’elle était ma maman.[17]  » C’est ce que nous avons compris. Je me rappelle notre joie à tous, les focolarini comme les focolarines, la joie immense de l’avoir pour maman, de pouvoir devenir elle-même et qu’elle soit notre modèle.

            Comme les saints qu’elle cite ici, Chiara parle de Marie d’une façon parfaitement juste du point de vue théologique, comme Mère de Jésus et Epouse de l’Esprit-Saint. Cette dernière expression, qui a été superficiellement critiquée ces dernières années, est tout-à-fait juste. On la trouve déjà chez saint François d’Assise. Bien expliquée par saint Louis-Marie de Montfort[18], elle a été reprise par Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI. Cette manière de parler de Marie correspond exactement aux exigences post-conciliaires énumérées par Paul VI dans Marialis Cultus, de façon christocentrique, trinitaire et ecclesiale, en montrant que Marie ne prend jamais la place ni de Jésus, ni de l’Esprit-Saint (cf n. 25-28).

            En ce même mois de décembre 2003, dans sa très belle Lettre aux Familles Montfortaines (datée du 8 décembre), Jean-Paul II offrait la même profonde interprétation de saint Louis-Marie de Montfort, en insistant précisément sur "l’identification mystique avec Marie entièrement tournée vers Jésus"[19].  Selon Louis-Marie, l’Esprit-Saint "reproduit" Marie dans les âmes, au point d’en faire "des copies vivantes de Marie pour aimer et glorifier Jésus-Christ" (Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge, n. 217).  Chiara et Jean-Paul II en sont des exemples lumineux[20]. Dans la perspective du Concile Vatican II, c’est toute la communauté de l’Eglise qui est appelée à cette identification avec Marie, Vierge e Mère, Servante et Pauvre (cf Lumen Gentium, ch VIII).

Conclusion

            La famille du Carmel thérésien s’apprête à fêter en 2015, le cinquième centenaire de la naissance de Thérèse d’Avila. Ce sera une grande grâce pour toute l’Eglise, pour tout le Peuple de Dieu, appelé à expérimenter la beauté de son Château Intérieur. En même temps, Chiara Lubich invite tout le Peuple de Dieu à expérimenter toute la beauté de son Château Extérieur. La complémentarité de ces deux Châteaux et la communication entre eux est essentielle pour l’avenir de l’Eglise. Ces deux grandes mystiques se donnent la main et nous donnent la main sur le chemin de la sainteté, pour vivre toutes les dimensions de la charité, pour incarner l’Evangile dans toutes les réalités humaines, pour ouvrir la mystique à toutes les dimensions de l’humanité, dans une expérience inséparablement personnelle et communautaire, dans cette continuelle conjonction du "je" et du "nous".  

            Thérèse de Lisieux nous le redit finalement en commentant les paroles de l’Epouse dans le Cantique des Cantiques : "Attire-moi, nous courrons" (Ct 1, 4) :

Qu’est-ce donc de demander d’être Attiré, sinon de s’unir d’une manière intime à l’objet qui captive le coeur  ? Si le feu et le fer avaient la raison et que ce dernier disait à l’autre  : Attire-moi, ne prouverait-il pas qu’il désire s’identifier au feu de manière qu’il le pénètre et l’imbibe de sa brûlante substance et semble ne faire qu’un avec lui. Mère bien-aimée, voici ma prière, je demande à Jésus de m’attirer dans les flammes de son amour, de m’unir si étroitement à Lui, qu’Il vive et agisse en moi. Je sens que plus le feu de l’amour embrasera mon coeur, plus je dirai  : Attirez-moi, plus les âmes qui s’approcheront de moi (pauvre petit débris de fer inutile, si je m’éloignais du brasier divin), plus ces âmes courront avec vitesse à l’odeur des parfums du Bien-Aimé, car une âme embrasée d’amour ne peut rester inactive (...)

            Tous les saints l’ont compris et plus particulièrement peut-être ceux qui remplirent l’univers de l’illumination de la doctrine évangélique. N’est-ce point dans l’oraison que les StsPaul, Augustin, Jean de la Croix, Thomas d’Aquin, François, Dominique et tant d’autres illustres Amis de Dieu ont puisé cette science Divine qui ravit les plus grands génies  ? Un savant a dit  : “ Donnez-moi un levier, un point d’appui, et je soulèverai le monde. ” Ce qu’Archimède n’a pu obtenir, parce que sa demande ne s’adressait point à Dieu et qu’elle n’était faite qu’au point de vue matériel, les Saints l’ont obtenu dans toute sa plénitude. Le Tout-Puissant leur a donné pour point d’appui  : lui-même et lui seul  ; pour levier  : L’oraison, qui embrase d’un feu d’amour, et c’est ainsi qu’ils ont soulevé le monde  ; c’est ainsi que les Saints encore militants le soulèvent et que, jusqu’à la fin du monde, les Saints à venir le soulèveront aussi[21].

Paris, le 4 Juin 2014

PLAN

Introduction

I/ Une brève prière à sainte Thérèse d’Avila (début décembre 2002)

II/ Le récit du "Paradis de 1949" aux jeunes du Mouvement (20 décembre 2003)

- Résumé de la période précédente (1943-1949)

- Manifestation de l’Unité de Dieu dans la Création

- Le Serviteur de Dieu Igino Giordani, en communion avec sainte Catherine de Sienne

- Dans le Sein du Père

- Jésus Fils Unique du Père et Verbe Incarné

- Né de la Vierge Marie,  Mère de Dieu

- L’expérience de l’Esprit-Saint

- La Consécration à Marie, en communion avec Jean-Paul II, Louis-Marie de Montfort et Thérèse de Lisieux

Conclusion

                [1] Le texte a été publié en 2010, d’abord  en italien (ed Città Nuova), puis en traduction française  (Nouvelle Cité).

                [2] Cette image de la "ronde des saints" a été l’icône de la retraite de Carême que j’ai eu la grâce de prêcher pour Benoît XVI et la Curie Romaine du 13 au 19 mars 2011,  comme préparation spirituelle à  la béatification de Jean-Paul II. J’avais mentionné Chiara le 14 mars, troisième anniversaire de son "dies natalis", et l’avant-dernière méditation était dédiée à Chiara Luce Badano, la première bienheureuse du Mouvement des Focolari. Toutes les méditations ont été publiées, d’abord en italien, puis dans ma traduction française (La Lumière du Christ dans le Coeur de l’Eglise, Paris, 2011, ed. Parole et Silence).

            [3] Texte original italien : "Grazie, Santa Teresa, per tutto quanto hai fatto per noi durante la nostra storia. Grazie ! Ma il più bel grazie te lo diremo in Paradiso. Continua a vegliare su tutti noi, sul nostro "castello esteriore" che lo Sposo ha suscitato sulla terra a completamento del tuo "castello interiore", per fare la Chiesa bella come la desideravi. Arrivederci, Santa Teresa. Abbracciandoti. Chiara". Tous ces textes de Chiara sur le château intérieur et le château extérieur  sont cités et commentés dans le livre posthume du P. Jesus Castellano Cervera ocd,  justement intitulé :  Il castello esteriore. Il "nuovo" nella spiritualità di Chiara Lubich  (Roma, 2011, ed Città Nuova, p. 68). Mort en 2006, ce Carme espagnol était un vrai homme de Dieu, grand connaisseur de Thérèse d’Avila, et ami intime de Chiara Lubich, avec entre eux une influence réciproque. C’était aussi pour moi un frère et un ami, comme professeur au Teresianum. Nous avons vécu 24 ans dans la même communauté. En commentant ces textes de Chiara, le P. Caltellano affirmait : "Castello esteriore è un’espressione del tutto nuova nella storia della spiritualità cristiana ; certamente ha un riferimento al castello interiore di santa Teresa, ma porta con sé una novità che nasce dell’esperienza collettiva della spiritualità dell’unità vissuta da Chiara e da tutta l’Opera di Maria. Questo termine ricorre per la prima volta in uno scritto inedito di Chiara con una data precisa : 8 novembre 1950, una settimana dopo la proclamazione del dogma dell’Assunta da parte di Pio XII. Chiara, dopo la particolare esperienza di luce avuta durante l’estate del 1949, prende coscienza della novità del carisma che Dio le ha concesso, anche al livello delle prospettive che si aprono per la vita spirituale della Chiesa. E’ consapevole di offrire, col suo carisma, un dono dello Spirito, una visione rinnovata della spiritualità cristiana. Si tratta della "spiritualità dell’unità", una spiritualità vissuta insieme, come un riflesso della vita trinitaria : un carisma nuovo nella Chiesa (p. 58-59). "Bisogna passare dal castello interiore alla scoperta di un ’castello esteriore’. Se nel primo Dio abita nell’uomo e si rivela nella pienezza del mistero trinitario nell’ultima mansione, nel secondo Dio abita come Trinità fra coloro che formano con il proprio castello interiore rivolto verso l’altro, il ’castello esteriore’. Ora, questa spiritualità dell’unità che si trova come mistica trinitaria di unità nel Movimento dei Focolari, non è soltanto una ’particolare esperienza’, ma una grazia per la Chiesa, come l’esperienza del castello interiore o della Notte oscura sono state grazie per la Chiesa del secolo XVI, oggi assimilate nella teologia spirituale a livello ecclesiale" (p. 67).

            [4] Ibidem, p. 63-64.

            [5] Ibidem,, p. 65.

            [6] J’ai développé cela dans la dernière méditation de la retraite pour Benoît XVI, en la Solennité de Saint Joseph, le 19 mars 2011.

            [7] Ct 1, 4. Thèrèse commente longuement ces paroles de l’Epouse dans les dernières pages de l’Histoire d’une âme (Manuscrit C, 33v-37r).

            [8] Voici ses premiers mots : "Alors, parlons maintenant du Paradis, d’accord  ? Naturellement, s’il n’y en avait seulement quelques-uns sur les 2 500 que vous êtes ici ou reliés en d’autres salles, qui n’étaient pas présents quand j’ai commencé l’explication de cette période un peu extraordinaire qu’a vécue le Mouvement en 1949, pour ceux-là, je répète un peu tout ce que j’ai déjà expliqué d’autres fois, avant d’en arriver à des choses nouvelles  ; puis viendront les choses nouvelles".

                [9] Chiara avait une extraordinaire capacité de communiquer de grands contenus mystiques aux jeunes et même aux enfants. Cela a été déterminant pour le chemin de sainteté de la bienheureuse Chiara Luce Badano. Dès l’âge de 10 ans, elle avait profondément accueilli l’invitation à prendre "Jésus abandonné comme son premier Epoux", ce qui sera fondamental pour bien vivre son adolescence dans la pureté et pour vivre héroïquement le calvaire des deux dernières années. La grande source concernant Chiara Luce est la Positio de sa Cause de Béatification, en deux volumes.  En communion avec Chiara Lubich et tout le Mouvement, cette Cause a été ouverte et conduite par l’Ordinaire du lieu, Mons. Livio Maritano, évêque de Acqui Terme, récemment disparu, qui avait donné à Chiara le sacrement de la Confirmation, qui avait été proche d’elle pendant sa maladie et qui avait célébré la messe de ses funérailles. Sa principale collaboratrice, comme vice-postulatrice da la Cause, Maria Grazia Magrini, a écrit une des meilleures biographies de Chiara Luce : De lumière en lumière. Vie de la bienheureuse Chiara Badano (Paris, Sarment, février 2011, 250 p.).

                [10] Comme Catherine de Sienne et Gemma Galgani, Chiara est une mystique qui n’est jamais plus théologienne que quand elle parle spontanément, en se détachant d’un texte écrit à l’avance. J’ai pu observer la même chose chez Benoît XVI, dans ses merveilleux discours spontanés, comme par exemple son homélie du 1er décembre 2009 aux Membres de la Commission Théologique Internationale, et aussi dans sa brève allocution du 19 mars 2011 à la fin de la retraite.

            [11] Vi dono il Paradiso (in Unità e Carismi, 2010, n. 4). J’utilise la traduction française publiée, mais sans hésiter à la modifier à partir de l’original italien.

                [12] C’est ce qu’on peut voir chez Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila, comme chez Jean de la Croix, Thérèse de Lisieux et Louis-Marie de Montfort.

            [13] Je reprends ma brève synthèse dans la Préface aux Lettres des premiers temps, pour montrer que Jésus abandonné est le fondement de l’unité. En effet, «  l’Idéal le plus grand qu’un cœur humain puisse désirer – l’Unité – n’est qu’un rêve vague et une chimère si ceux qui veulent cet Idéal n’ont pas dans leur cœur comme seul tout Jésus abandonné par tous, même par son Père  ?  » (lettre 57). La même vérité est exprimée de la façon la plus belle dans une lettre au père Bonaventura  : «  Le livre de Lumière, que le Seigneur écrit dans mon âme, comporte deux aspects  : une page lumineuse d’un mystérieux amour  : Unité. Une page de mystérieuse douleur  : Jésus abandonné. Ce sont les deux aspects d’une même médaille. À tous, je montre la page Unité. Pour moi et pour ceux qui sont en première ligne de l’Unité, notre seul tout est Jésus abandonné. […] Aux autres l’Unité, à nous l’abandon. Oui, parce que l’épouse se doit de ressembler à l’époux  » (lettre 40, avec pour signature  : «  Chiara de Jésus abandonné  »). Pour elle, comme pour sainte Claire d’Assise, être Épouse du Christ signifie «  embrasser le Christ Pauvre  » dans les plus grandes souffrances de sa passion (Deuxième lettre de Claire  à Agnès de Prague). C’est répondre à la folie de son amour pour nous, cet amour qui l’a poussé à «  épouser  » jusqu’au bout notre humanité blessée par le péché, pour la sauver et la sanctifier, et cela dans toutes les personnes humaines. Ainsi chaque personne, appelée à la sainteté, est appelée à être épouse du Christ dans l’Église, et pas seulement la femme consacrée dans le célibat. En ce sens, Chiara écrit à sa sœur Liliana qui se prépare au mariage  : «  Tu épouses comme moi l’Amour crucifié et abandonné  !  » (lettre 15). Le «  cri  » de Jésus crucifié  : «  Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné  ?  » (Mt 27,46) est l’expression extrême de son Amour à travers sa plus grande souffrance. Pour Chiara, ce cri est inséparable de ce qui suit  : l’abandon confiant de Jésus entre les mains du Père (Lc 23,46) et sa grande prière sacerdotale (Jn 17)  : «  Son âme d’Homme-Dieu, pleine de la plus grande souffrance que ciel et terre connaissent  : la souffrance d’un Dieu abandonné par Dieu, qui pourtant n’hésite pas un instant à l’offrir à son Père  : “Père, entre tes mains, je remets mon esprit”. Qu’il en soit toujours ainsi pour nous. Et sais-tu ce que répondra Jésus à ton offrande  ? “Tout ce qui est à moi est à toi”. Il te donnera tout, toute la plénitude de sa joie  » (lettre 23). L’épouse de Jésus crucifié et abandonné expérimente cette mystérieuse coexistence en lui de la plus grande douleur et du plus grand bonheur (la béatitude). Sur ce point, Chiara rejoint Catherine de Sienne et Thérèse de Lisieux, citées par Jean-Paul II dans Novo millennio ineunte (n° 27). Elle approfondit le mystère de la Rédemption comme l’admirable et dramatique «  échange  » entre Jésus et nous tous, pécheurs. Pour nous, lui qui était sans péché est devenu péché, afin que nous devenions en lui Justice de Dieu (cf. 2 Co 5,21). Les Pères et Docteurs de l’Église (Maxime le confesseur, Jean Damascène, Thomas d’Aquin) ont beaucoup réfléchi sur cette mystérieuse «  appropriation  » de notre péché réellement vécue par Jésus Rédempteur, Tête du Corps mystique, qui a pris sur lui et en lui tout le péché de ses membres, c’est-à-dire de tous les hommes, afin que tous puissent recevoir sa grâce. Avec audace et une grande sûreté théologique, Chiara pénètre de manière nouvelle dans les profondeurs de ce mystère, privilégiant la parole Unité – plutôt que la classique «  union  » des mystiques – à partir des paroles de l’Évangile qui sont pour elle comme «  le testament  » de Jésus : Que tous soient un (Jn 17,11),  «  Père saint… qu’ils soient un comme nous sommes un  » (lettre 29). Ainsi le péché est-il caractérisé essentiellement comme «  désunité  » avec Dieu et avec le frère. Et c’est cette «  désunité  », que Jésus abandonné a réellement pris dans son Cœur pour nous donner son Unité d’Amour avec le Père, dans l’Esprit Saint (cf. lettre 39).

            [14]Chiara développe alors l’exemple du Bouddha : "Il existe un texte, L’Illumination de Bouddha, d’un grand intérêt. Il nous laisse en quelque sorte la preuve que l’enseignement de l’Église est vrai  ; autrement dit, que Dieu a envoyé des «  semences de vérité  » en tout homme de bonne volonté et, surtout, il les a envoyées, de manière plus manifeste, plus claire, en toute personne à la vie spirituelle profonde, en toute personne devant initier une vie spirituelle aussi pour d’autres. L’expérience de Bouddha ressemble fortement à la nôtre. Bouddha – est-il écrit – «  découvrit que tout apparaissait complètement transformé  : animaux, plantes, êtres humains, tout semblait immergé dans un bain de gloire et de splendeur.  » Il s’est alors écrié  : «  Merveilleux  ! Merveilleux  !  » Un mot qui lui jaillissait du cœur, tellement il venait de découvrir comment se présente toute réalité , alors que notre œil ne le voit pas  ; lui aussi a reçu la grâce de le comprendre. Vous vous rendez compte combien nous avons été heureuses lorsque nous avons découvert, il n’y a pas si longtemps, cette expérience de Bouddha. Nous nous sommes dit  : «  Voilà pourquoi, en 1949, le Seigneur nous a préparées nous aussi à la comprendre, parce que c’est une ‘semence du Verbe’et, par la suite, la semence donne une petite plante.  » On comprend que Bouddha ait communiqué cette illumination à tout le bouddhisme, c’était le plus important dans le bouddhisme".

                [15] Ici encore, Chiara rejoint François d’Assise affirmant que c’est l’Esprit-Saint lui-même, habitant en les fidèles, qui reçoit en eux le Corps et le Sang de Jésus (cf Admonition I in Fonti Francescane, n. 143).

[16] J’en avais longuement parlé dans la Retraite avec Benoît XVI (Méditations, 3, 4 et 5), qui ensuite à insisté sur ce point dans son homélie pour la béatification de Jean-Paul II. Il convient de citer ses paroles : "Chers frères et sœurs, aujourd’hui, resplendit à nos yeux, dans la pleine lumière spirituelle du Christ Ressuscité, la figure aimée et vénérée de Jean-Paul II. Aujourd’hui, son nom s’ajoute à la foule des saints et bienheureux qu’il a proclamés durant les presque 27 ans de son pontificat, rappelant avec force la vocation universelle à la dimension élevée de la vie chrétienne, à la sainteté, comme l’affirme la Constitution conciliaire Lumen gentium sur l’Église. Tous les membres du Peuple de Dieu – évêques, prêtres, diacres, fidèles laïcs, religieux, religieuses –, nous sommes en marche vers la patrie céleste, où nous a précédé la Vierge Marie, associée de manière particulière et parfaite au mystère du Christ et de l’Église. Karol Wojtyła, d’abord comme Évêque Auxiliaire puis comme Archevêque de Cracovie, a participé au Concile Vatican II et il savait bien que consacrer à Marie le dernier chapitre du Document sur l’Église signifiait placer la Mère du Rédempteur comme image et modèle de sainteté pour chaque chrétien et pour l’Église entière.  Cette vision théologique est celle que le bienheureux Jean-Paul II a découverte quand il était jeune et qu’il a ensuite conservée et approfondie toute sa vie. C’est une vision qui est synthétisée dans l’icône biblique du Christ sur la croix ayant auprès de lui Marie, sa mère. Icône qui se trouve dans l’Évangile de Jean (19, 25-27) et qui est résumée dans les armoiries épiscopales puis papales de Karol Wojtyła : une croix d’or, un « M » en bas à droite, et la devise « Totus tuus », qui correspond à la célèbre expression de saint Louis Marie Grignion de Montfort, en laquelle Karol Wojtyła a trouvé un principe fondamental pour sa vie : « Totus tuus ego sum et omnia mea tua sunt. Accipio Te in mea omnia. Praebe mihi cor tuum, Maria – Je suis tout à toi et tout ce qui est à moi est à toi. Je te prends pour tout mon bien. Donne-moi ton cœur, O Marie » (Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, n. 266)".

            [17] Voici le texte exact de Thérèse concernant Marie : "J’ai compris qu’Elle veillait sur moi, que j’étais son enfant, aussi je ne pouvais plus lui donner que le nom de "Maman", car il me semblait encore plus tendre que celui de Mère" (Manuscrit A, 56v-57r). Un telle appelation, habituelle en Italie, ne l’est pas en France.

                [18] Qualifié par Jean-Paul II comme "un théologien de classe" (Don et Mystère).

            [19] Il convient de citer ce beau texte de Jean-Paul II : "L’une des expressions les plus élevées de la spiritualité de saint Louis-Marie Grignion de Montfort se réfère à l’identification du fidèle avec Marie dans son amour pour Jésus, dans son service de Jésus. En méditant le célèbre texte de saint Ambroise :  Que l’âme de Marie soit en chacun pour glorifier le Seigneur, que l’esprit de Marie soit en chacun pour exulter en Dieu (Expos. in Luc 12, 26 :  PL 15, 1561), il écrit  : "Qu’une âme est heureuse quand... elle est toute possédée et gouvernée par l’esprit de Marie, qui est un esprit doux et fort, zélé et prudent, humble et courageux, pur et fécond  !" (VD 258). L’identification mystique avec Marie est entièrement tournée vers Jésus, comme il l’exprime dans la prière  : "Enfin, ma très chère et bien-aimée Mère, faites, s’il se peut, que je n’aie point d’autre esprit que le vôtre pour connaître Jésus et ses divines volontés ; que je n’aie point d’autre âme que la vôtre pour louer et glorifier le Seigneur ; que je n’aie point d’autre cœur que le vôtre pour aimer Dieu d’un amour pur et d’un amour ardent comme vous" (SM 68)  » (Lettre aux Familles Montfortaines, n. 5).

                [20] Cette forte dimension mariale caractérise les saints du XXème siècle, par exemple le franciscain polonais Maximilien Kolbe et le carme hongrois P. Marcel de la Vierge du Carmel que le Pape François vient de déclarer Vénérable.

[21] Histoire d’une âme (Manuscrit C, 36rv).



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