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 - 17 mai 2024 - Saint Pascal Baylon
Publié le : 20 septembre 2005 Source : Zenit.org
 

 

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Le pardon après le 11 septembre par un ancien aumônier de la Croix Rouge à New York

ROME, Dimanche 11 septembre 2005 (ZENIT.org) - Que peut-on dire à une femme qui a perdu son mari et le père de ses enfants dans un attentat terroriste comme celui du 11 septembre ? C’est l’une des questions que Zenit a posées au père Alfonso Aguilar, Légionnaire du Christ, aumônier de la Croix Rouge à New York au moment de l’attentat contre les tours jumelles.

Dans cet entretien, le père Aguilar, actuellement professeur de philosophie à l’Athénée pontifical « Regina Apostolorum » de Rome, rapporte ce qu’il a vu au cours de ces heures dramatiques et que les caméras n’ont pas pu montrer.

Zenit : Pouvez-vous nous décrire les personnes que vous avez rencontrées ?

Père A. Aguilar : En ce qui concerne leur confession religieuse, la plupart des personnes que j’ai rencontrées étaient chrétiennes. Plus de la moitié étaient, selon moi catholiques. On pouvait réciter le Notre Père et lire des passages de l’Evangile avec presque tout le monde.

Il y avait des adultes de tous les âges, même si les femmes entre trente et quarante ans étaient plus nombreuses. J’ai rencontré plusieurs pères et mères de famille qui avaient perdu un de leurs enfants, et également des fiancés comme Elizabeth, une jeune fille de 28 ans, qui après 5 ans de fiançailles devait se marier trois mois plus tard. J’ai rencontré beaucoup de jeunes épouses, comme Linda Thorpe, qui s’occupait de son premier enfant, qui venait de naître, et deux de ses amies, qui avaient juste eu le temps de fonder une famille. Ces trois femmes étaient fières des vertus et du dévouement de leur mari dans des œuvres sociales. Sur la photo qu’elles m’ont montrée on voyait les trois hommes, heureux, portant un toast dans un restaurant. Qui aurait pensé que quelques semaines plus tard ils se seraient présentés ensemble devant le Seigneur ?

Zenit : Que dit un aumônier à des personnes qui ont souffert la perte d’un être cher dans une telle tragédie ?

Père A. Aguilar : Lors de telles tragédies, l’aumônier ne doit faire et dire que peu de choses. Il réconforte et redonne l’espérance davantage à travers sa présence et sa solidarité qu’avec des mots. Le prêtre demande aux familles si elles désirent quelque chose ; il adresse quelques paroles de réconfort et invite à réciter une prière toute simple, comme le Notre Père. Naturellement, du fait de l’émotion, les personnes ne sont pas préparées à écouter des sermons ou à participer à de longs moments de prière. La plupart des personnes, croyantes ou non, sont très réconfortées par la présence d’un prêtre dans ces moments-là. On ne sait jamais l’impact psychologique et spirituel que son action peut avoir, avec la Grâce divine, dans les âmes qui souffrent. Plusieurs jours après la catastrophe, les autorités de la Croix Rouge m’ont envoyé une lettre ainsi qu’un diplôme de reconnaissance, parce qu’elles avaient noté l’impact de la présence du prêtre.

Zenit : Comment ont réagi les proches des victimes à l’attentat ? Avez-vous perçu de l’hostilité envers Dieu et les terroristes ?

Père A. Aguilar : Je me suis approché des gens avec une certaine appréhension. Je pensais que beaucoup auraient refuser une aide spirituelle, que certains auraient maudit Dieu et les assassins. Par chance il n’en a pas été ainsi. La majorité des personnes ont volontiers accueilli l’aumônier et je n’ai entendu de plaintes contre personne. Les gens acceptaient leurs terribles souffrances avec une résignation hors du commun. Je suis persuadé qu’il y a eu une grâce spéciale de Dieu qui leur a permis de souffrir avec patience et sans amertume.

Je suppose que le Seigneur dispense cette grâce dans les cas de désespoir comme celui-là. Et puis d’un autre côté, ils espéraient tous que leurs proches ou leurs amis étaient encore en vie. La veille, cinq personnes avaient été extraites vivantes des décombres. Malheureusement on n’a plus retrouvé personne en vie. A ce moment-là, j’ai compris que lorsqu’on aime quelqu’un profondément, on ne laisse pas la flamme de l’espérance s’éteindre si facilement : on croit que même l’impossible peut arriver.

Zenit : Les terroristes musulmans des attentats aux Etats-Unis, à Madrid, en Israël et en Irak, pour ne parler que des cas les plus dramatiques, tuent et provoquent des souffrances indicibles sans montrer ni compassion ni remords. Comment peut-on rechercher la justice sans tomber dans la haine ? Quelle devrait être l’attitude d’un chrétien qui souffre à cause du terrorisme ?

Père A. Aguilar : La même attitude que celle du Christ. Jésus a été injustement condamné, torturé, crucifié par des hommes qui, conscients de son innocence, s’acharnaient contre lui. Comment a réagi le Seigneur ? En lui-même il était disposé à tout pardonner. Il priait pour cela : « Père pardonne-leur ; ils ne savent ce qu’ils font » (Lc 23,34). Le pardon offert gratuitement et de façon inconditionnelle par le Christ ne pouvait pas toucher l’âme de l’injuste tant que celui-ci ne reconnaissait pas son propre péché, tant qu’il ne s’était pas repenti et qu’il n’avait pas cherché réparation. On remarque que dans sa demande de pardon inconditionnelle Jésus ne s’adresse pas à ceux qui le tuent, mais à son Père. Lorsque par contre le bon larron remplit les conditions pour être pardonné, confessant et reconnaissant ses péchés, Jésus lui promet les bénéfices du pardon : « En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43).

Nous devons donc pardonner de tout cœur à tout le monde, sans condition, même si extérieurement seuls ceux qui se repentent et changent d’attitude peuvent être pardonnés.. Dans tous les cas, la justice ne doit pas s’opposer au pardon, comme le montre aussi le cas du bon larron. Ainsi, après lui avoir pardonné, Jésus ne le libère pas de la croix, c’est-à-dire du châtiment que le malfaiteur considérait lui-même comme « juste ». En ce sens, nous devons pardonner à tout le monde au fond de nous-mêmes, en exigeant en même temps que justice soit faite.

Zenit : Quelle a été votre réaction en rencontrant toutes ces personnes affligées ?

Père A. Aguilar : Une chose est de voir de loin ou à la télévision s’écrouler les Tours jumelles, mais une autre, de voir en photo les visages des victimes, et en chair et en os leurs familles et leurs proches. Dans le deuxième cas, le drame se personnalise. Il cesse d’être un nombre mathématique de victimes et se transforme en une série de biographies et de belles histoires d’amour fauchées de manière brutale et injuste.

Il est très difficile d’exprimer le grand nombre de sentiments contradictoires qui se bousculent en vous à ce moment-là. D’abord des sentiments de profonde douleur, de compassion, d’incompréhension, d’impuissance. Puis des sentiments de rage pour une injustice et une cruauté aussi grandes. La peine augmentait en découvrant que tant de vies bonnes et prometteuses étaient fauchées, laissant des blessures profondes chez des personnes chères et innocentes : femmes à peine mariées ou sur le point de l’être, des bébés et des petits enfants incapables de comprendre ce qui arrivait, des parents, des frères et des amis qui ne verraient plus ceux à qui ils avaient donné la vie ou avec qui ils avaient vécu pendant tant d’années.

Je me rappelle qu’après trois heures d’accompagnement de familles de victimes, j’étais éreinté aussi bien au niveau physique que psychologique, comme si mes os étaient devenus soudainement lourds ou comme si je n’avais pas dormi depuis plusieurs jours. J’ai compris à ce moment-là et pour la première fois ce que veut dire l’Evangéliste Luc quant il parle des apôtres à Gethsémani : « (Jésus) vint vers les disciples qu’il trouva endormis de tristesse ». Il est vrai que la tristesse peut exténuer une personne.

Zenit : Quelles leçons tirez-vous de cette terrible expérience ?

Père A. Aguilar : J’en tire plusieurs leçons. La tragédie du 11 septembre est devenue pour moi le symbole de la lutte titanesque et éternelle entre le bien et le mal : entre le mal diabolique et fou qui tuait et détruisait sans raison et le bien qui s’imposait sur le fondement de l’amour, du dévouement, de la compassion, de la solidarité. Là, nous avons vu le meilleur et le pire de ce dont est capable l’être humain. Et nous avons constaté que le meilleur triomphe sur le pire !

Comme deuxième leçon, je soulignerais la contingence de la vie humaine et des voies impénétrables de la Providence. Une jeune Américaine m’a dit quelle avait perdu le chef de son entreprise, un Allemand de trente ans du nom de Klaus. Il était arrivé d’Allemagne à New York le lundi 10 septembre pour diriger une réunion le mardi matin, précisément à l’heure des attaques terroristes.. La jeune fille aurait dû assister à la réunion, mais ce jour-là elle avait raté le premier ferry qui fait la navette entre le New Jersey et Manhattan. Alors qu’elle prenait le second ferry, les tours se sont écroulées. Pourquoi un jeune homme vient d’Allemagne aux Etats-Unis pour mourir et une jeune fille américaine rate son rendez-vous qui l’aurait conduite à la mort ? Dieu seul le sait !

En troisième lieu, j’ai été frappé de voir la résignation héroïque avec laquelle une personne peut accepter une tragédie ainsi que la volonté divine. Je n’oublierais jamais Patty, une femme avec deux petits enfants. Son mari l’avait appelé au téléphone du 103ème étage d’une des deux Tours pour lui dire : « Ma chérie, je t’aime. Prends soin des enfants ». Secouée par les sanglots, Patty poursuivait : « Mon mari parlait lentement, avec sérénité, en mesurant ses paroles ». A mon tour, je me suis demandé : et si moi je me trouvais devant une mort certaine, est-ce que je l’accepterais avec autant de sérénité que ce jeune mari et père de famille ?

A la fin, le 11 septembre nous a montré que l’amour est capable de transcender toute douleur, même la séparation physique provoquée par un brutal attentat. Parmi les centaines de messages que les familles et les proches des victimes ont écrit sur un panneau de bois improvisé à Ground Zero, mon attention a été retenue en particulier par le message d’une petit fille, écrit dans un anglais élémentaire, mais rempli d’émotion. Il disait ceci : « Cher Papa, tu me manques tant et il est très difficile de ne pas t’avoir près de moi. Je sais que tous les héros sont au ciel. Voilà la raison pour laquelle j’ai perdu mon héros, mon cœur, mon papa ! Je t’aime très fort ! Avec plein d’amour, ta petite fille ».



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